C'est le vestige d'une guerre qui n'a jamais eu lieu entre la Chine et l'Union soviétique. En 1969, les deux anciens alliés communistes, devenus rivaux, ont été sur le point de s'engager dans un conflit fratricide. Les heurts à la frontière se multipliaient. Pékin se préparait au pire, à une attaque nucléaire. Mao décida alors de mobiliser les habitants de la capitale pour creuser une "ville souterraine", susceptible de mettre à l'abri les Pékinois en cas d'agression soviétique. Un ensemble de tunnels reliant les différents lieux du pouvoir mais aussi les gares est édifié pendant une dizaine d'années avec des abris antiaériens. On prévoit également un cinéma et un salon de coiffure... Mais l'ouvrage ne servira jamais.
Jusque dans les années 1990, il était possible de visiter une partie de cette ville souterraine en demandant aux employés d'un magasin de vêtements du quartier de Qianmen, au sud de la place Tiananmen, de soulever une trappe. Un portrait de Mao et des slogans désormais dépassés accueillaient le visiteur. Des bars y avaient été ouverts.
Ces dernières années, les abris antiaériens ont été reconvertis en abris de fortune pour les ouvriers migrants, souvent jeunes et en provenance des campagnes, qui représenteraient un tiers des 20 millions d'habitants de la capitale. En raison de la folie immobilière qui a saisi la ville, ils ne peuvent plus se loger "en haut".
VIVRE DANS 8 MÈTRES CARRÉS
On les a surnommés la "tribu des rats". Une expression qui a désormais remplacé, dans les médias, celle de "tribu des fourmis", popularisée par le sociologue Lian Si, dans un livre paru en 2009, pour décrire ces jeunes migrants pauvres contraints de vivre ensemble dans de petits espaces.
La photographe singapourienne Sim Chi Yin, basée à Pékin, suit quelques-uns des membres de la "tribu des rats" depuis 2010. Selon certaines estimations, ils pourraient être près d'un million à vivre ainsi dans les sous-sols de la capitale. Travaillant comme serveurs, coiffeurs, gardiens, employés de maison ou cuisiniers, ils sont la colonne vertébrale du secteur des services d'une métropole où les inégalités sautent à la figure. Ils paient des loyers inférieurs à 700 yuans (88 euros) pour des chambres de huit mètres carrés où, la plupart du temps, ils ne peuvent que caser un lit. Les salles de bains et toilettes sont communes.
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