Chine, la grande offensive des réformistes

De notre correspondante à Pékin, Caroline Puel

Le Premier ministre chinois Wen Jiabao © Sipa
Le Premier ministre chinois Wen Jiabao © Sipa

Temps de lecture : 5 min

La Chine pourrait-elle adopter un plan de réformes politiques et sociales sur trente ans ? C'est ce qu'affirme une série d'articles publiée jeudi sur les sites Internet de journaux chinois. Ils confirment une offensive du courant réformiste, à quelques heures de l'ouverture, le 15 octobre, à Pékin, du 5e plénum du Parti communiste chinois.

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Cette réunion à huis clos du "cerveau du régime communiste" (environ trois cents personnes) devait à l'origine être consacrée à l'examen du 12e plan quinquennal (2011-2015) et aux questions économiques et sociales. Les observateurs attendaient également de voir si Xi Jinping, dauphin présumé du régime, censé diriger la prochaine génération de dirigeants communistes (qui devrait arriver au pouvoir à l'automne 2012), était accepté par les militaires.

Mais l'ordre du jour a été bousculé par l'attribution la semaine dernière du prix Nobel de la paix à un intellectuel incarcéré, Liu Xiaobo, qui avait fait circuler sur Internet en décembre 2008 une charte réclamant la liberté d'expression et des élections libres. L'attribution de cette distinction a été censurée par les médias locaux et la police maintient toujours l'épouse de Liu Xiaobo en résidence surveillée. Cette "affaire du prix Nobel" a révélé l'intensité des luttes internes au sein du Parti communiste sur la question de l'ouverture politique de la Chine.

Le Premier ministre joue son va-tout

Depuis le mois d'avril, le Premier ministre Wen Jiabao a, semble-t-il, décidé de jouer son va-tout, afin de pousser une réforme politique d'ici la fin de son mandat, qui se termine dans deux ans. Mais ses différents discours sont aussi tombés sous le coup de la censure ! Il a toutefois trouvé le soutien de vétérans du régime, proches du courant réformiste, qui ont rédigé une lettre ouverte rendue publique le 12 octobre.

Ce même jour, une première dépêche de la très officielle agence Chine nouvelle a été publiée et reprise jeudi par les médias chinois les plus libéraux. Témoignant de l'intensité des luttes intestines, la version originale avait disparu du site de l'agence Chine nouvelle, avant d'être repostée jeudi soir et, semble-t-il, "recadrée". L'organe de presse y interviewe Yu Keping, directeur d'un des centres de recherche les plus proches du Premier ministre (Centre de recherche sur les politiques économiques comparatives). Ce professeur de sciences politiques, né en 1959, qui a enseigné aux États-Unis et en Allemagne, est l'auteur de La Démocratie est une bonne chose (Brookings Institution Press 2009) et d'un autre ouvrage, La Mondialisation et le Changement de gouvernance en Chine, publié en 2008 à Amsterdam.

Mais la démocratie qu'envisage ce proche conseiller du chef du gouvernement chinois ne serait pas de type occidental. "La Chine doit avoir le courage de rechercher un nouveau modèle politique qui permette de combiner l'efficacité et l'équité sociale et l'efficacité et la démocratie. Je pense que le modèle chinois sera une importante contribution au monde de la démocratie", déclarait le professeur dans une chronique sur la réforme politique publiée sur le site de son centre de recherche.

Fenêtre médiatique

De même, répondant aux inquiétudes des "durs" du régime qui redoutent qu'un processus démocratique mette en péril la stabilité de l'empire chinois comme l'URSS l'a expérimenté voilà juste vingt ans, le jeune réformiste soulignait encore dans sa chronique son attachement à la stabilité sociale. "La stabilité sociale est ce dont la Chine a véritablement besoin pour poursuivre son développement économique et social." Mais, précise Yu, la stabilité sociale n'est pas forcément "quelque chose de statique qui doit être maintenu par la suppression des voix du peuple". "Ce que nous voulons est une stabilité dynamique, où nous laisserions les gens exprimer leurs idées et leurs critiques. C'est en écoutant leurs plaintes, redescendant aux racines des problèmes et en les redressant que l'on peut résoudre les pressions montantes du public avant l'explosion. En d'autres termes, la justice sociale et la bonne gouvernance sont les fondements d'une société harmonieuse."

L'importance de la couverture médiatique donnée à cette interview, alors que d'autres journaux rendent enfin compte des appels de Wen Jiabao en faveur des réformes politiques, censurés jusqu'à présent, ou reprennent la photo du Premier ministre qui figure cette semaine en une de l'édition asiatique de Time Magazine, constitue une véritable vague. Les publications concernées sont aussi diverses que le Quotidien de la jeunesse (proche de la Ligue communiste de la jeunesse et donc de l'actuel président Hu Jintao et du dauphin Xi Jinping), le Quotidien de Pékin (proche du clan libéral de l'armée) ainsi que les grands quotidiens de Shanghai, Wuhan, Canton, Nankin, Changsha... montrant à quel point les lignes de fracture sont difficiles à préciser dans la Chine d'aujourd'hui.

Cette déferlante d'articles (une quarantaine en quelques heures) démontre également à quel point la nouvelle génération de journalistes chinois, qui arrive aux commandes dans les grands médias et trouve des relais sur Internet, est avide d'obtenir cette liberté d'expression.

Un chemin singulier

Mais il apparaît évident aussi que - pour autant que les réformistes convainquent les durs du régime d'accepter au cours de ce plénum les débuts de l'ouverture politique, ce qui n'est pas encore avéré - cette réforme ne se fera pas en un jour.

Même les plus libéraux du régime, comme ce professeur Yu Keping, envisagent qu'elle se fasse progressivement sur trente ans, et que la Chine prenne son propre chemin, distinct des démocraties occidentales. C'est le seul moyen aux yeux des responsables chinois et, semble-t-il aussi, de l'élite qui demande ces transformations, de permettre la digestion par un milliard et demi d'habitants d'une métamorphose que l'Europe avait mis plus de deux siècles à mûrir...

Commentaires (31)

  • un chinois à paris

    1. "Sinon, un gouvernement démocratique ne renferme jamais un simple citoyen à cause de ses discours de la liberté... "
    On n'a jamais dit que le gouvernement actuel à Pékin est un gouvernement démocratique.
    L'année dernière, j'ai eu l'occasion de dire ici que l'autorité en place avait tort de mettre Liu en prison. De mon point de vue, mon raisonnement à moi, c'est que le gouvernement de GMD n'a jamais enfermé LU Xun dans les années 30, pourquoi le gouvernement actuel enfermerait un opposant comme Liu ?

    2. J'ai dit : "Mais c'est vrai que je n'avais jamais eu à affronter la faim... "
    C'est différent que "Vous ne connaissez pas la misère... Vous avez eu la chance... ".

    3. "Mais je vous donne un conseil, quand on protège un démon, il ne faut pas avoir la conscience... "
    C'est Sartre qui dit : "L'enfer, c'est les Autres ! " Apparemment, beaucoup de gens partagent son opinion. Un philosophe de tel renom, n'est - ce pas, ça force parfois les adhésions faciles.
    Si l'enfer ou le démon est chez les autres, effectivement, il suffit de les éliminer pour avoir le paradis. Mais est - ce vrai ?
    Eh bien, cher Condor, le démon peut entrer dans le coeur de chacun de nous. Dans votre coeur et dans mon coeur. Et oui, c'est là peut - être qu'il faut dire : "Ne nous soumets pas à la tentation" ; et si nous y sommes dedans, "délivre nous du mal". Je ne sais pas si j'ai la bonne ou mauvaise conscience. Quelqu'un a dit : "Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous, ou par un tribunal humain. Je ne me juge pas non plus moi - même. " Je pense qu'il est très sage. On m'a enseigné aussi que la sincérité n'est pas la vérité, mais sans prétention de connaître la vérité, la sincérité nous aide à approcher la vérité. Donc, j'essaie d'être sincère, le plus sincère possible. Après, ma sincérité profite à qui ? ça, ce n'est pas mon problème.
    Amicalement.

  • Condor

    L’époque la plus sombre de la Chine est passée. Maintenant qui domine la Chine ? Ce n’est pas du communisme, c’est du fascisme avec un état policer... Sinon, un gouvernement démocratique ne renferme jamais un simple citoyen à cause de ses discours de la liberté... Vous ne connaissez pas la misère... Vous avez eu la chance... Mais je vous donne un conseil, quand on protège un démon, il ne faut pas avoir la conscience... Pensez les innocents d'abord.

  • un chinois à paris

    Merci pour le conseil. On peut aussi lire les "Rêveries du promeneur solitaire", ça nous aide à préparer une révolution.
    Et confidence pour confidence. La période de la Révolution Culturelle, personnellement, c'est la période la plus heureuse de ma vie et ça n'a rien à voir avec la politique. Il y avait des horreurs, des misères. On était très pauvre. Mes parents ne sont pas des communistes, encore moins des cadres, des fonctionnaires. Je n'étais pas et ne suis jamais communiste non plus. Mais c'est vrai que je n'avais jamais eu à affronter la faim même si la question d'argent, c'est un grand souci des parents. Et j'avais une chance inouï d'avoir rencontré de très bons professeurs depuis l'école primaire, et ils n'étaient pas communistes non plus.
    Après cela, vous pouvez toujours dire que je suis un chinois privilégié. Oui, je l'avoue, je suis "favorisé", favorisé dans le sens de Sainte Thérèse de Lisieux.