Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 11 mai 2015

De l'irruption de la procédure civile dans le débat public

Un incident sur un plateau de télévision a donné naissance à un débat sur la procédure civile, discipline à mon goût trop absente des discussions de salon et des débats médiatiques.

Chaussons les lunettes du juriste, laissons pour une fois de côté le code de procédure pénale et ouvrons celui de procédure civile, qui est le cœur battant du métier d’avocat. Un petit rappel : qu’appelons-nous procédure civile et pénale ?

Les différents types de procédure

La procédure civile est celle qui régit les procès opposant les personnes privées entre elles, que ce soient des particuliers (personnes physiques) ou des sociétés ou associations (personnes morales). Un couple qui divorce, un salarié licencié qui attaque son ancien employeur, un locataire qui exige des travaux de son bailleur, un client mécontent qui exige le remboursement d’un produit, tout cela relève de la procédure civile. La procédure pénale concerne la poursuite par la société, représentée, et avec quel talent, par le ministère public, des infractions (contraventions, délits, crimes). La procédure administrative existe aussi, qui oppose l’administration (au sens large, Etat, collectivités locales, certains établissements publics) à ses administrés ou plus rarement deux personnes publiques entre elles (par exemple quand l’Etat demande l’annulation d’une délibération d’un conseil municipal qu’il estime illégale).

La procédure civile de droit commun, c’est à dire s’appliquant par défaut, si la loi n’a pas prévu une procédure dérogatoire spéciale, est portée devant le tribunal de grande instance, et la représentation par avocat est obligatoire (c’est le seul cas, outre les comparutions immédiates et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité au pénal, où l’avocat est obligatoire). De fait, pour la plupart des procès de la vie quotidienne (moins de 10 000 euros), vous pouvez vous représenter vous-même. N’hésitez pas. On adore ça.

En appel, tous ces contentieux se retrouvent à la cour d’appel, et la représentation par avocat est obligatoire dans la plupart des cas.

Rangez les guns

Ceci posé, rentrons dans le vif du sujet. Et d’emblée, étouffons dans l’œuf une controverse. Oui, l’un des intervenants de cette affaire est Caroline Fourest. Un autre intervenant est Aymeric Caron. Get over it. Je sais que la profession de polémiste de ces deux personnes, et leurs vues tranchées à défaut d’être toujours solidement étayées les rendent aisément objet de réactions passionnelles. Ici, ce n’est pas le sujet. Si vous occupez votre trop grand temps libre à colporter de forum en forum votre détestation de l’une ou votre haine de l’autre, passez votre chemin. Vos messages seront effacés pour rendre à votre avis l’importance qu’il a réellement. Pour ma part, pour être transparent à votre égard, je n’ai aucun contentieux personnel avec ces deux personnes. Je n’ai jamais rencontré Aymeric Caron, mais ai participé à une émission “Du grain à Moudre” sur France Culture avec Caroline Fourest. C’était en juin 2008, sur le sujet de l’annulation du mariage de Lille sur lequel j’avais écrit ce billet. J’ai fait sa connaissance à cette occasion. Au-delà de nos désaccords de fond sur ce sujet, c’est quelqu’un de courtois et, ai-je pu en juger lors de la brève discussion hors antenne ayant suivi l’émission, sincère dans ses convictions et sa préoccupation de la progression du communautarisme. Sincère ne veut pas dire qu’elle a forcément raison, et déjà à l’époque, j’avais constaté une certaine tendance à affirmer catégoriquement le contenu d’une décision de justice et à être plus évasive sur les détails. Cela m’avait poussé à écrire après cette émission ce billet pour préciser ce que disait réellement une décision de justice qu’elle avait invoquée comme preuve à l’antenne et qui s’est avérée après vérification aller plus dans mon sens que dans le sien. Les vertus du contradictoire… Mais se tromper sincèrement, ce n’est pas mentir. Que d’erreurs judiciaires sont nées de cette confusion.

Les faits, maître, les faits.

Rappelons à présent les faits : interrogé par Aymeric Caron sur une condamnation pour diffamation en octobre 2014 à la suite d’une de ses chroniques sur une jeune femme musulmane portant le voile qui aurait selon la journaliste inventé une agression, Caroline Fourest a répondu “qu’elle avait gagné en appel”. Le chroniqueur a reçu l’information avec un certain doute, et votre serviteur, avec un doute certain. Non pas qu’il me parût impossible que caroline Fourest gagnât son procès en appel (j’en ignore les détails et me garderai de donner une opinion sur le fond de l’affaire) mais les délais de jugement d’un appel devant la chambre 2-7 de la cour d’appel de Paris, compétente en la matière, ne sont PAS de  5 mois. C’est plutôt 2 à 3 ans. La polémique a enflé dans les jours qui ont suivi, Aymeric Caron, ayant le défaut d’être journaliste, a fait des vérifications et obtenu confirmation auprès de la cour que l’affaire était toujours pendante, et indiquait avoir eu connaissance d’une sommation de communiquer daté du 8 avril 2015 (je reviendrai sur ce que c’est). Le point va à Aymeric Caron : cette sommation est un acte de procédure qui prouve que l’appel est en cours à la cour d’appel.

Réplique de l’intéressée qui précise et indique avoir mal compris ce que lui a dit son avocat : en fait, si l’affaire est toujours en cours, il la considére comme gagnée car la prescription serait acquise (je vais y revenir aussi, je sais, je tease comme un ouf, et je sais, j’ai passé l’âge d’employer ce vocabulaire). Donc le procès est en cours mais d’ores et déjà gagné, ce que Caroline Fourest a trop rapidement transformé en “gagné”, sans doute aiguillonnée par le plaisir de clouer le bec à son contradicteur. Là, je ne puis encore accorder le point, qui relève de l’office du juge. L’affaire en est là. Il est temps d’ouvrir la boîte à explications, en commençant par un peu de vocabulaire.

Mais d’abord, un peu de procédure

Une affaire oppose un demandeur et un défendeur. Le demandeur demande au juge de condamner le défendeur à quelque chose. Ici, la jeune femme accusée d’avoir affabulé demande que Caroline Fourest soit condamnée pour l’avoir diffamée, c’est à dire lui avoir publiquement imputé un fait contraire à l’honneur et à la considération. Elle est demanderesse, et le sera jusqu’au bout de la procédure. Caroline Fourest est défenderesse, et le sera elle aussi jusqu’au bout. La demanderesse a obtenu gain de cause par un jugement du 23 octobre 2014. Caroline Fourest a fait appel (on dit “a interjeté appel” entre juristes pour crâner). En appel, celui fait appel est appelé l’appelant,et celui qui ne fait pas appel, l’intimé. Sachant que l’intimé qui n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait mais s’en contentait peut se dire “ah c’est comme ça, ben je vais en profiter pour présenter à nouveau mes demandes complètes” et peut à son tour former appel, cet appel en représailles s’appelant un appel incident. Donc on peut avoir en appel un appelant principal, intimé incident, opposé à un intimé principal, appelant incident. C’est simple, non ? Eh bien ça ne le reste jamais longtemps, car les deux parties peuvent être mécontentes du jugement, et former appel principal toutes les deux. Dans ce cas, les deux parties sont appelantes et intimées.

Sachant que quelle que soit leur qualité d’appelant ou d’intimé, les parties n’en gardent pas moins leur qualité de demandeur ou de défendeur. Ce qui change est que le demandeur qui a gagné en première instance (on dit “triomphé”) demande cette fois la confirmation du jugement plus que la condamnation de son adversaire, qu’il a déjà obtenue (on dit du perdant qu’il a “succombé”). Intimé est une position confortable car on a un jugement qui va dans son sens.

L’appel est en principe suspensif du jugement, et dans tous les cas, il l’empêche d’acquérir l’autorité de la chose jugée, qui est l’impossibilité presque absolue de remettre en cause une décision de justice devenue définitive. Une décision définitive est une décision de justice pour laquelle plus aucune voie de recours n’est possible, soit que le délai pour l’exercer a expiré, soit que le recours a été exercé mais a été rejeté. 

Dernier point : nous sommes en matière de délit de presse, et la prescription est fort courte : elle est de 3 mois. Si le demandeur ne manifeste pas de manière univoque sa volonté de continuer à poursuivre pendant 3 mois, l’action en justice s’éteint par son inaction. Cela s’appelle la prescription. C’est le demandeur qui doit prendre l’inititative de cette manifestation, qui peut simplement prendre la forme d’un dépôt de son argumentation écrite, fût-elle identique à la précédente, cette argumentation s’appelle des conclusions. L’interruption de la prescription remet le compteur à zéro et fait à nouveau courir un délai de trois mois. L’autorité de la chose jugée met fin définitivement à ce délai de prescription, et pour l’exécution de la condamntion, on rebascule sur le délai de droit commun, soit 5 ans.

C’est compliqué, n’est-ce pas ? Vous savez désormais pourquoi on en a fait un métier. Faites une pause, buvez une tasse de thé, et on attaque les règles de la procédure d’appel.

Prêts ? C’est parti.

Le délai d’appel est d’un mois en matière civile, et court à compter de la signification du jugement, c’est à dire qu’un huissier de justice la porte au domicile de la partie condamnée. Si celui qui a triomphé ne pense pas à faire signifier, le délai d’appel ne court pas et le jugement n’acquiert jamais l’autorité de la chose jugée. La déclaration d’appel se fait désormais par voie électronique. Le greffe de la cour d’appel enregistre la déclaration d’appel et en envoie immédiatement copie par courrier simple à l’intimé. D’expérience, à Paris, c’est le jour ouvrable suivant la déclaration d’appel. Si la lettre revient ou que nul ne se manifeste un mois après son envoi, le greffe en avise l’avocat de l’appelant, qui a un mois pour signifier (par huissier donc) la déclaration d’appel à l’intimé. S’il ne fait pas, son appel est caduc, et le jugement devient définitif.

L’appelant a trois mois pour conclure à compter de sa déclaration d’appel, ce qui ne veut pas dire qu’il a trois mois pour draguer la greffière, mais qu’il a trois mois pour déposer ses conclusions. Si l’intimé ne s’est pas manifesté en chargeant un avocat de le représenter (c’est obligatoire), on dit constituer un avocat, l’appelant doit lui signifier (par huissier donc) ses conclusions à son domicile. Ainsi, il ne peut prétendre ignorer ce qui se passe. Si l’intimé a constitué avocat, celui-ci a deux mois pour conclure à compter de la signification par l’appelant de ses conclusions. Si j’ai bien fait mon boulot, vous avez dû comprendre cette phrase, ce que vous n’auriez pas pu faire quand vous avez commencé à lire. Achievement unlocked. Cette phase de pure procédure, où les parties s’échangent leurs argumentations et se communiquent les preuves sur lesquelles elles s’appuient s’appelle la mise en état, et se déroule sous la surveillance d’un conseiller de la cour d’appel (à la cour d’appel, les juges évoluent un peu comme les Pokémons, et ils deviennent Conseillers). Il s’appelle conseiller de la mise en état, merci Captain Obvious. C’est dans le cadre de cette mise en état qu’a été émise la sommation de communiquer du 8 avril, qui est un acte par lequel un avocat somme son adversaire de produire une preuve d’un droit dont il se prévaut. Quand le conseiller de la mise en état estime que l’affaire est en état d’être jugée, il clôt cette phase, et fixe une date d’audience devant la cour au grand complet (soit trois conseillers) pour entendre les plaidoiries des avocats. Puis un arrêt est rendu (devant une cour, on ne parle plus de jugement, apanage d’un tribunal, mais d’arrêt). 

À présent que vous êtes armés, replongeons-nous dans notre affaire. 

Le 23 octobre 2014, le tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre, condamne Caroline Fourest à payer à Rabia B. la somme de 3000 euros. Comme nous sommes au civil, il ne s’agit pas d’une amende (Caroline Fourest n’est pas condamnée pénalement, elle n’aura pas de casier judiciaire même si la diffamation est un délit) mais d’une indemnisation versée à la victime reconnue comme telle par le jugement. Le jugement n’est pas définitif, la prescription est toujours possible. Elle serait acquise le 23 janvier 2015 si elle n’était pas interrompue. Je n’ai ensuite que trois dates à me mettre sous la dent : la déclaration d’appel aurait été formée le 31 octobre 2014. Attention, s’agissant d’un acte accompli par la défenderesse, il n’est pas interruptif de prescription, seule l’interrompt un acte du demandeur manifestant clairment sa volonté de poursuivre [Edit : la déclaration d’appel est bien interruptive de prescription, juge la jurisprudence.] Le 28 janvier 2015, l’avocat de Caroline Fourest a déposé ses conclusions d’appel (il devait le faire le 31 janvier au plus tard, ce qui correspond au dernier jour pour le demandeur intimé pour interrompre la prescription). Ces conclusions auraient été signifiée à partie, donc à Rabia B. le 23 février 2015 (source : @arrêtsurimages.net, qui parle de signification de l’appel, mais je doute que ce soit ça, ça ne colle pas avec les délais). Toutes ces formalités sont effectuées par la partie appelante, donc défenderesse ici, et ne sont de ce fait pas interruptives de la prescription, car elles ne marquent pas la volonté de l’intimée demanderesse de poursuivre son action. Dernière info : la sommation de communiquer dont Aymeric Caron a fait état émane là encore de l’appelante, donc elle ne serait pas non plus interruptive de prescription. 

En fait, pour avoir utilement interrompu la prescription, il faut que Rabia B. ait accompli avant le 23 janvier 2015 (23 octobre 2014 + 3 mois) un des actes suivants : avoir signifié à Caroline Fourest le jugement du 23 octobre 2014, ou, ayant eu vent de la déclaration d’appel, constitué avocat. Ces deux actes manifestent une volonté de poursuivre l’action, la jurisprudence l’a tranché, ils interromptent donc la prescription. Cet acte aurait fait courir un nouveau délai de 3 mois, qui aurait pu être interrompu à tout moment par le dépôt de conclusions d’intimé. Il y a d’autres moyens d’interrompre la prescription mais ceux-ci sont les plus simples, et s’inscrivent naturellement dans le déroulement de la procédure. En supposant que la démanderesse ait constitué avocat le dernier jour du délai, soit le 23 janvier, il lui fallait accomplir un acte de poursuite de l’action le 23 avril 2015 au plus tard. Si ce n’est pas le cas, l’avocat de Caroline Fourest peut jubiler, l’affaire est bien prescrite (et sa cliente, dûment informée, jubiler à son tour le 2 mai à l’antenne de France 2). Mais il faudra attendre l’arrêt sur le fond pour que la prescription soit officiellement constatée.

Comment est-ce possible, me demanderez-vous ? C’est plus fréquent qu’on ne le croit, le droit de la presse est rempli de chausse-trapes, et l’avocat de Caroline Fourest en est un fin connaisseur. L’intimé peut par exemple croire à tort qu’un acte accompli par l’appelant a interrompu la prescription et se croire à l’abri. Cela peut être ainsi une ruse de l’appelant de multiplier les actes de procédure (au hasard, une sommation de communiquer) pour donner à l’intimé un faux sentiment de sécurité jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Attention : je ne dis pas que c’est le cas dans cette affaire, je n’en sais rien, je n’ai pas accès aux éléments de la procédure. J’explique en quoi cette prescription est théoriquement possible, et est plus fréquente qu’on ne le croit, comme en témoigne le volume du contentieux sur cette question. La difficulté que vous avez eu à tout comprendre dans cet article vous confirmera la complexité de la question, même pour un avocat. Si tel n’est pas le cas, l’avocat de Rabia B. n’aura aucune difficulté à prouver le contraire à la cour et le cas échéant à la presse en précisant les dates et la nature de ses actes interruptifs. Auquel cas, Caroline Fourest aura tiré une balle dans le pied de sa défense, en rendant son adversaire encore plus vigilant sur le délai de trois mois qu’il ne l’était déjà.

Navré de n’avoir pu apporter de réponse précise à vos questions ; au moins espérè-je vous avoir permis de vous poser les bonnes questions.

vendredi 27 avril 2012

Légitime défense du droit

À titre de prolégomènes, deux mots. Je ne suis pas dupe. Je sais que la proposition que le candidat sortant a sorti de son chapeau relève de ce qu’Authueil appelle avec toute la poésie sont il est capable le rut électoral, pendant laquelle le spectaculaire l’emporte sur le réalisme en piétinant la sincérité.

Cette proposition, démagogique, pur exemple du “un fait divers, une loi”, rejoindra sur le tas de fumier des promesses et annonces stupides en décomposition la suppression du juge d’instruction, l’interdiction des apéros Facebook, et tant d’autres.

Il ne s’agit pas ici de critiquer un projet qui n’en est pas un, mais de faire une mise au point sur l’état actuel du droit, car tous ceux qui annoncent vouloir le changer ont un point en commun : leur ignorance de celui-ci, et de voir que cette annonce aboutirait à un résultat au pire pernicieux, et qui ne changerait rien à ce qu’il prétend régler.

Un fait divers, une loi - phase 1 : le fait divers.

Samedi soir à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le commissariat reçoit un appel anonyme indiquant la présence d’un homme recherché depuis son évasion le 25 juin 2010 du centre de détention de Chateaudun, qu’il n’avait pas réintégré après une permission de sortie. dans un bar du centre ville. À l’arrivée de l’équipe dépêchée sur place, nous dit l’AFP, le suspect s’est enfui, poursuivi par trois fonctionnaires qui l’ont vu se débarrasser d’un objet qu’ils ont pris pour une grenade. Pendant ce temps, le quatrième policier au volant du véhicule a contourné les lieux pour le prendre à revers. Selon ses déclarations, le suspect l’aurait visé en tendant son bras armé vers lui. Le gardien de la paix a alors tiré à quatre reprises sur lui.

Mortellement blessé, l’homme est décédé rapidement. L’autopsie a révélé qu’il avait succombé à un projectile tiré dans la région dorso-lombaire, ce qui a provoqué une hémorragie interne abdominale consécutive à la section de l’artère rénale droite et à une plaie transfixiante du lobe droit du foie.

Comme toujours quand un homme est tué par la police, une enquête est diligentée par l’Inspection Générale des Services (IGS). Et ce même quand le décédé est connu de la justice, son casier judiciaire portant mention de onze condamnations notamment pour vol à main armée, et qu’il était bien porteur d’une arme approvisionnée dont il n’a pas fait usage (aucune cartouche percutée).

Et l’enquête va rapidement révéler des bizarreries. Notamment l’autopsie qui va établir que la balle mortelle serait entrée horizontalement dans le dos de la victime, ce qui est incompatible avec la position d’un homme qui vise (la défense réplique que ce n’est pas une balle mais un fragment de balle qui aurait ricoché sur un mur et serait entrée perpendiculairement dans un homme de profil). Un témoin va confirmer que lors du tir, l’homme courait en s’éloignant et tournait ainsi le dos au policier. Deux éléments qui contredisent la version du policier.

Face à cela, le parquet a décidé d’ouvrir une instruction pour tirer les choses au clair, et comme il faut une qualification juridique, pour homicide volontaire (car il y a eu homicide, et par un geste volontaire, le fait que 4 coups aient été tirés pouvant révéler une intention homicide). Le juge d’instruction chargé de l’enquête a pris connaissance du dossier et a constaté que l’identité du gardien de la paix ayant ouvert le feu est parfaitement connue, et qu’il existe contre lui des indices graves ou concordant rendant vraisemblable qu’il ait pu commettre les faits objets de l’instruction. La loi imposait qu’il devînt partie à l’instruction, pour pouvoir bénéficier des droits de la défense : assistance d’un avocat, accès au dossier, droit de demander des actes d’enquête, etc.

Le juge d’instruction se voyait réduit à un choix à deux branches : soit la mise en examen soit le statut de témoin assisté. Sachant que le parquet demandait la mise en examen qui seule permettait de prononcer des mesures coercitives comme une détention provisoire (que nul n’a demandée en l’espèce) ou un contrôle judiciaire (sorte de liberté surveillée).

Le juge d’instruction a opté pour la première branche, a mis en examen le policier, et l’a placé sous contrôle judiciaire avec notamment interdiction d’exercice de son activité professionnelle. Je précise qu’un fonctionnaire interdit d’exercer n’est pas suspendu et touche néanmoins son traitement (je ne sais si entier ou réduit ?)

Cette décision a provoqué l’ire des policiers qui ont manifesté spontanément autour du tribunal de Bobigny, puis sur les champs-Elysées, en tenue et en utilisant les véhicules de service, avant d’être reçu par le ministre de l’intérieur. Relevons que ce faisant, les policiers ont commis deux délits pénaux, l’organisation de manifestation non déclarée (article 431-9 du Code pénal) et manifester étant porteur d’une arme (article 431-10 du Code pénal) ce qui leur fait à tous encourir trois ans de prison et la révocation, et que la légitime défense ne peut pas couvrir.

Sautant sur l’occasion, qui comme on le sait fait le larron, le président-candidat à la présidence a annoncé vouloir une présomption de légitime défense en faveur des policiers, risquant au passage une coupure de son abonnement internet par la HADOPI pour piratage de programme du Front national.

Un fait divers, une loi - phase 2 : la loi

L’annonce a été faite sans préciser les contours de cette présomption ni sa définition, ce genre de détails étant bien trop barbants pour les citoyens français. Mais j’aime bien barber les citoyens français, et même les citoyennes, pourtant à l’abri de cet attribut.

Rappelons brièvement ce qu’est la légitime défense et voyons les cas et effets des présomptions de légitime défense existantes, car il y en a deux.

La légitime défense est définie à l’article 122-5 du Code pénal, qui distingue deux cas : la légitime défense face aux atteintes aux personnes et la légitime défense face aux atteintes aux biens. La définition est identique dans les deux cas, mais la légitime défense face aux atteintes aux biens n’excuse pas l’homicide volontaire.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction.

Pour résumer, il y a légitime défense si l’acte de défense est (1) immédiat (pas de légitime défense si vous rentrez chez vous chercher votre arme et revenez sur les lieux abattre celui qui vous a agressé), (2) nécessaire (l’acte doit viser à repousser l’agression et y mettre fin ; dès que l’agression cesse, la légitime défense cesse, un acharnement au-delà vous rend coupable), (3) proportionné (vous ne pouvez abattre à la chevrotine celui qui vous a mis une claque), et (4) être opposé à une agression illicite (pas de légitime défense face à un policier usant de la force pour s’assurer de votre personne). Notez que la légitime défense ne concerne pas que la victime de l’agression : celui qui porte secours à la victime est aussi en légitime défense (la loi dit bien légitime défense de soi-même ou d’autrui).

L’agression doit être réelle ou à tout le moins vraisemblable : des indices objectifs devait permettre à celui qui s’est défendu d’estimer qu’une agression était en cours. Il n’y a pas de légitime défense contre une agression imaginaire ou invraisemblable (cas d’un époux ayant frappé son épouse de coups de couteau au visage invoquant la légitime défense car il se sentait menacé par l’entourage de son épouse : non, a dit la cour d’appel de Colmar le 6 décembre 1983).

S’agissant de ce qu’en droit on appelle une exception c’est à dire un moyen de défense, la charge de la preuve pèse sur celui qui invoque la légitime défense à son profit. Ce n’est pas au parquet de prouver qu’il n’y a pas eu de légitime défense. Sauf dans deux cas : les présomptions de légitime défense. On les trouve à l’article 122-6 du Code pénal :

Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte :

1° Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ;

2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence.

Quand de telles circonstances sont établies, la personne qui a commis un acte violent contre celle qui pénétrait de nuit dans un lieu habité ou qui se défendait contre un vol avec violence est présumée avoir agi en légitime défense. Au parquet ou à la victime de prouver que les conditions de l’article 122-5 n’étaient pas remplies (la plupart du temps, le débat portera sur le caractère proportionné de la riposte). Relevons que ces présomptions s’appliquent aussi aux policiers : un policier qui repousse un vol avec violence dont un tiers est victime ou qui intervient sur un cambriolage en cours de nuit est présumé en légitime défense.

Voilà où le bât blesse dans cette affaire. Comme vous le voyez, les présomptions de légitime défense reposent sur les circonstances des faits : on est de nuit et on défend un lieu d’habitation, ou on repousse un vol avec violences. Les présomptions de légitime défense ne reposent pas sur la qualité de la personne auteur des faits. La proposition lancée par le candidat vise à créer un tel cas. Ce ne sont pas les circonstances qui importent, mais le fait que l’auteur des faits est policier qui fait présumer la légitime défense. Premier problème, qui pourrait lui assurer un sort funeste devant le Conseil constitutionnel : il y a atteinte à l’égalité. Un policier est un citoyen comme un autre, mais avec un flingue ; il n’y a aucune raison de lui accorder des privilèges, au sens étymologique de loi privée, c’est-à-dire des dérogations au droit commun en sa faveur, les derniers ayant été aboli une belle nuit d’août 1789. Et n’en déplaise aux manifestants en voiture à gyrophare et deux-tons, il n’y a rien de choquant de demander à un policier qui a fait usage de la force d’en justifier. Instaurer une présomption générale de légitime défense rendra très difficile à établir des violences policières illégitimes (qui j’insiste sur ce point sont très rares, ce qui ne les rend pas moins inacceptables pour autant), ce qui est déjà assez difficile comme ça.

Il y aurait en outre un paradoxe à faire de la qualité de policier (la loi dit dépositaire de l’autorité publique) une circonstance aggravante des violences volontaires et les présumer légitimes ; mais je sais que la cohérence législative n’a jamais été un souci du législateur.

Là où on verra que cette proposition est stupide, c’est qu’eût-elle été votée antérieurement aux faits de Noisy-le-Sec, elle n’eût point fait obstacle à la mise en examen du policier concerné. La mise en examen est une notification officielle de charges ouvrant les droits de la défense. L’existence d’une présomption de légitime défense ne fait absolument pas obstacle aux poursuites (ni même à un placement sous contrôle judiciaire voire en détention) et ne change strictement rien à la procédure : c’est à la fin du processus, au stade de l’établissement de la culpabilité, qu’elle entre en compte. En outre, c’est le travail du juge d’instruction de rechercher si les circonstances de l’infraction établissent cette présomption et de rechercher si les mêmes circonstances font qu’il n’y a pas lieu d’écarter cette présomption : c’est ce qu’on appelle instruire à charge et à décharge.

Donc cette loi serait-elle en vigueur que le policier aurait néanmoins été mis en examen, avec défilé de pim-pons à la clef. Le principe un fait divers, une loi a atteint un nouveau concept : un fait divers, une loi qui ne change rien.

Cette campagne est décidément d’un excellent niveau.

samedi 16 juillet 2011

Pas de gilet pare-balle à la prochaine Gay Pride

Une rumeur court sur les réseaux sociaux ces jours ci, et j’ai beaucoup été interrogé sur la question. La rumeur se résume à cette affirmation : depuis le 1er juillet, la police a le droit d’ouvrir le feu sur des manifestants.

Le juriste que je suis ne peut que froncer les sourcils face à cette affirmation. Non, bien sûr, la police n’a pas le droit d’ouvrir le feu sur les manifestants depuis le 1er juillet.

La Gendarmerie le peut depuis le 28 Germinal an VI (17 avril 1798), date de sa création, et la police depuis le décret-loi du 23 octobre 1935 sur les manifestations publiques. Ces deux corps ont fait un usage plus que modéré de ce droit depuis, et ne semblent guère enclins à vouloir changer leurs habitudes.

La rumeur s’appuie sur un décret n°2011-795 du 30 juin 2011 paru au JO du 1er juillet qui fait la liste des armes pouvant être utilisées pour des opérations de maintien de l’ordre public. Le dernier tableau de ce décret a mis le feu aux poudres, puisqu’il prévoit qu’il peut être fait usage de fusils à répétition de précision de calibre 7,62 × 51 mm et ses munitions, heureuse mention pour l’utilité de l’arme, même si un coup de crosse de FR-F2, ça fait déjà assez mal comme ça.

J’ai bien conscience qu’un texte de loi (au sens large) est souvent abscons et qu’il est difficile voire impossible d’en comprendre le sens sans voir dans quel contexte il s’inscrit, et ce qu’il change par rapport à la situation antérieure. Surtout que là vous allez voir que c’est pas simple. Les juristes sont les premiers à pester face à la chose, car la déconnexion du citoyen et de la loi, qui est l’expression de la volonté générale, est pernicieuse en république. Mais déduire d’un texte qu’on ne comprend pas la solution du pire, qui peut se formuler ainsi : “le gouvernement se prépare à faire de chaque manifestation un bain de sang digne de la Syrie, la preuve est au Journal Officiel de la République” est remplacer l’esprit critique par la paranoïa pure et simple. Un peu de sérieux quand on parle de la chose publique n’est pas superflu.

Qu’en est-il réellement ?

En fait, ce n’est pas un, mais deux décrets qui sont parus le même jour au JO : le décret n°2011-795 dont on a déjà parlé et le 2011-794 qui est le plus important, et n’a donc naturellement attiré l’attention de personne (il suffisait pourtant de le lire pour comprendre que la rumeur du bain de sang ne tenait pas, ce qui me laisse croire que quelqu’un a eu une lecture très sélective du JO). Ce dernier décret modifie la partie réglementaire (c’est à dire constituée de textes relevant du pouvoir réglementaire du Gouvernement, donc de décrets et non de lois) du Code pénal, et ces deux décrets sont des décrets d’application d’une loi n°2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.

Reprenons tout ça dans l’ordre.

La loi du 3 août 2009 a transféré la Gendarmerie nationale du ministère de la défense, maison de tout les militaires, au ministère de l’intérieur, maison de tout ce qui porte képi, tout en laissant à la vieille dame son statut militaire.

Le projet de loi initial était fort court (10 articles), puisque l’essentiel de la paperasserie relevait ensuite du pouvoir réglementaire.

Lors de la première discussion devant le Sénat, les parlementaires se sont avisés qu’une des missions de la gendarmerie est le maintien de l’ordre (la plupart du temps, les CRS que vous traitez de SS comme vos grand-parents ont fait en mai 68 sont des gendarmes mobiles, que vous outragez ainsi doublement en les traitant de policiers). Or la loi supprimant la réquisition légale,c’est à dire la nécessité d’un ordre écrit pour que la gendarmerie emploie la force (la police nationale n’ayant besoin que d’un ordre verbal), les sénateurs ont estimé, à raison à mon sens, que ce faible encadrement par la loi n’était pas conforme à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils ont donc voté un article 2bis renvoyant à un décret les modalités d’autorisation de l’emploi de la force.

L’assemblée nationale a supprimé cet article lors de l’examen en commission, mais il est réapparu en Commission mixte paritaire sous une forme plus détaillée (c’est l’article 2bis).

La loi du 3 août contenait donc un article 5 (les articles sont renumérotés une fois la loi adoptée pour supprimer les bis) modifiant l’article 431-3 du Code pénal, article prévoyant les formalités préalables à l’emploi de la force : trois sommations de se disperser pacifiquement non suivies d’effets, par des autorités déterminées arborant les insignes de leurs fonctions. Et prévoit deux cas où ces sommations ne sont pas nécessaires : violences ou voies de fait exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.

Cet article se termine par un nouvel alinéa ainsi rédigé :

Les modalités d’application des alinéas précédents sont précisées par décret en Conseil d’État, qui détermine également les insignes que doivent porter les personnes mentionnées au deuxième alinéa et les conditions d’usage des armes à feu pour le maintien de l’ordre public.

Vous avez compris, ce sont ces décrets qui sont parus le 1er juillet 2011.

Le premier rajoute des articles R.431-3 et R.431-4 au Code pénal qui n’existaient pas auparavant et précisent, comme l’exigeait le législateur, les conditions d’emploi de la force. Avant, ces précisions n’existaient pas, seule comptait l’appréciation de l’autorité civile présente (le préfet ou son délégué, concrètement), ce qui était un peu léger au regard de la Convention européenne des droits de l’homme (art.2, droit à la vie).

Désormais, la loi précise (art. 431-3 du Code pénal issu du décret n°2011-794, article 2) :

I- L’emploi de la force par les représentants de la force publique n’est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public dans les conditions définies par l’article 431-3. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé.

Oui, ce texte figure tel quel dans le même JO que le décret sur les armes, mais n’a pas eu l’heur de retenir l’attention des sonneurs de tocsin.

Le même article précise (les précisions entre parenthèses sont de moi) :

II. ― Hors les deux cas prévus au quatrième alinéa de l’article 431-3 (violences exercées sur les forces de l’ordre, défense du terrain tenu), les représentants de la force publique ne peuvent faire usage des armes à feu pour le maintien de l’ordre public que sur ordre exprès des autorités habilitées à décider de l’emploi de la force dans des conditions définies à l’article R. 431-4.

Cet ordre est transmis par tout moyen permettant d’en assurer la matérialité et la traçabilité.

Histoire de trouver le responsable pour rechercher sa responsabilité pénale si nécessaire.

« III. ― Pour les forces armées mentionnées aux 1° et 3° de l’article L. 3211-1 du code de la défense, (armée de terre, marine, armée de l’air, groupes interarmes, bref tout le monde sauf les gendarmes), l’ordre exprès mentionné au II prend la forme d’une réquisition spéciale écrite délivrée par les autorités mentionnées à l’article R. 431-4.

La réquisition écrite a été abrogée par la loi du 3 août pour la gendarmerie. Elle demeure pour l’armée.

Et voilà le cœur du sujet :

« IV. ― Hors les deux cas prévus au quatrième alinéa de l’article 431-3 (violences exercées sur les forces de l’ordre, défense du terrain tenu), les armes à feu susceptibles d’être utilisées pour le maintien de l’ordre public sont les grenades principalement à effet de souffle et leurs lanceurs entrant dans le champ d’application de l’article 2 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 (décret établissant la classification des armes entre les 7 catégories) et autorisés par arrêté du Premier ministre.

« V. ― Sans préjudice des articles 122-5 (légitime défense) et 122-7 (état de nécessité), peuvent être utilisées dans les deux cas prévus au quatrième alinéa de l’article 431-3 (violences exercées sur les forces de l’ordre, défense du terrain tenu), outre les armes mentionnées au IV (grenades à effet de souffle), les armes à feu de 1re et de 4e catégorie adaptées au maintien de l’ordre correspondant aux conditions de ce quatrième alinéa, entrant dans le champ d’application de l’article 2 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 et autorisées par arrêté du Premier ministre. »

Le fameux décret n°2011-795 se contente de dire de quelle arme on peut faire usage dans ce dernier cas :

En application du V de l’article R. 431-3 du code pénal, outre les armes à feu prévues à l’article précédent, est susceptible d’être utilisée pour le maintien de l’ordre public, à titre de riposte en cas d’ouverture du feu sur les représentants de la force publique, celle mentionnée ci-après : Fusil à répétition de précision de calibre 7,62 × 51 mm et ses munitions.

Traduction : les armes à balles réelles sont réservées pour la légitime défense, l’état de nécessité, et la riposte à des tirs sur les représentants de la force publique, trois situations très analogues au demeurant. En aucun cas les forces de police ou de gendarmerie n’ont le droit de tirer à balles réelles sur un attroupement si des coups de feu ne sont pas tirés vers elles depuis cet attroupement.

J’ajoute que les armes de 6e catégorie (matraques, triques, tonfas, pulvérisateurs de gaz lacrymogène) sont autorisées dès le premier stade de l’emploi de la force, ces décrets ne réglementant que les armes à feu, qui incluent les grenades à déflagration.

En conclusion, vous pouvez aller manifester en paix le 1er mai prochain, le JO vous protège. Et n’oubliez pas mes recommandations : rentrez chez vous dès la 1e sommation d’obéissance à la loi que vous entendez (ou à la première fusée rouge que vous voyez tirée par les forces de l’ordre) ; ne lancez ni pierre ni pavé ni cocktail molotov sur les forces de l’ordre ; ne tentez pas de forcer le passage, surtout si c’est vers l’Élysée, un ministère ou une Assemblée parlementaire, et n’ouvrez pas le feu sur les forces de l’ordre. En suivant ces conseils avisés, vous devriez pouvoir passer une bonne journée insurrectionnelle et être rentrés chez vous à temps pour Question pour un Champion. Sinon, selon votre situation, Jaddo ou moi-même nous ferons un devoir de mettre notre art à votre service.

jeudi 20 mai 2010

Allez, viens boire un p'tit coup sur Facebook

Je n’arrive toujours pas à m’expliquer comment un épiphénomène qui ne mériterait même pas d’être anecdotique peut prendre une importance médiatique disproportionnée. La machine médiatique s’emballe-telle toute seule, ou joue-t-elle les idiots utiles en offrant sur un plateau une diversion bienvenue qui permet à un gouvernement qui vient de perdre la souveraineté budgétaire en pleine crise économique majeure (ce qui devrait avec la réforme des retraites suffire à occuper toutes nos conversations de citoyens actifs et responsables) de jouer les fiers-à-bras sur le thème de l’ordre et de la sécurité, avec dans le rôle de l’épouvantail, quand les intégristes islamistes sont occupés ailleurs, le grand méchant internet ? (Oui, ma phrase trop longue est en fait une question, relisez depuis le début, et de mon côté, promis, je ne recommence plus). En tout cas, la mission de hiérarchisation de l’info n’est à mon sens pas remplie dans cette affaire. Mais ce n’est pas typiquement français, la télévision belge ayant parfois des soucis du même type.

Cette fois-ci, on sonne le tocsin à cause des apéros géants qui ont lieu dans plusieurs villes, autour d’un rendez-vous donné via internet, principalement sur le site social Facebook. D’où leur sobriquet médiatique : les apéros Facebook. Rappelons que Facebook est un site qui propose gratuitement à chacun de s’inscrire sous son vrai nom ou sous un pseudonyme, et de se constituer un réseau de relations, baptisés uniformément “amis”, que ce soit un véritable ami, votre époux ou votre patron, cette relation étant établie par la demande de l’un acceptée par l’autre. Vous pouvez dès lors publier vos états d’âmes (votre “statut”, écrire sur le “mur” de quelqu’un, sorte de panneau d’affichage où vos amis et vous pouvez discuter facilement, créer ou rejoindre un groupe dont vous soutenez l’objectif (par exemple pour la généralisation du mandat d’amener en matière de diffamation) ou créer l’annonce d’un événement (par exemple la République des blogs du 26 mai prochain) destiné, au choix du créateur, à ses seuls amis (pour un restau entre collègues) ou à toute personne connectée (pour une exposition que l’on souhaite promouvoir).

Le principe de ces apéros est simple : un événement est créé sur Facebook invitant qui le veut à se réunir tel jour en tel lieu déterminé pour un apéro convivial, histoire de se rencontrer et de discuter même si on ne se connaît pas.

« Peste », diront des gens peu au fait des usages numériques. « Des gens qui ne se connaissent pas et qui souhaitent pourtant bavarder ensemble, comme c’est étrange ». « Ah bon ? » leur répondront un peu surpris les habitués des commentaires de ce blog ou d’autres, qui savent que le fait de discuter entre gens qui ne se connaissent pas est la pierre angulaire du web.

Le phénomène prend de l’ampleur, et se double désormais d’un esprit de clocher bien gaulois, chacun de ces apéros espérant attirer plus de monde que celui de son voisin. Et ce sont ainsi des rassemblements de plusieurs milliers de personnes, dont forcément une part boit plus que de raison, qui ont lieu un peu partout. Et un virage médiatique a été pris depuis qu’en marge d’un tel événement le 13 mai dernier à Nantes, un jeune homme de 21 ans a trouvé la mort accidentellement, en chutant d’une passerelle, en état d’imprégnation alcoolique avancée. Les pouvoirs publics montent au créneau et entendent décourager ces événements, tant le fait de se réunir par milliers dans la rue pour boire sans soif est inconnu de notre culture (je salue d’ailleurs les Nîmois qui me lisent et qui préparent la sobre féria de Pentecôte, et les Bayonnais dont les fêtes fin juillet sont réputés pour leur importante consommation d’eau ferrugineuse).

Cependant, il faut leur concéder un argument de droit : en l’état, ces apéros géants ne peuvent être regardés comme légaux.

En effet, qu’est qu’un apéro Facebook pour un juriste ? Un appel à se réunir sur la voie publique, dans un cadre non commercial ni sportif (qui relèvent de lois particulières). C’est donc l’exercice de la liberté de réunion, qui est une liberté fondamentale.

Rappelons que les libertés publiques (ou fondamentales, les termes sont équivalents) peuvent être soumises à trois régimes juridiques, le quatrième, l’interdiction pure et simple, étant interdit, s’agissant précisément d’une liberté fondamentale : le régime répressif, le régime de déclaration préalable, et le régime d’autorisation préalable, le plus libéral de tous étant le répressif et le moins libéral étant celui d’autorisation préalable.

Le régime répressif consiste à laisser chacun user de cette liberté à sa guise, seuls les abus de cet usage pouvant le cas échéant faire l’objet a posteriori de sanctions. La liberté d’expression relève de ce régime, par l’effet de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi » (art. 11).

Le régime de déclaration préalable soumet l’exercice de cette liberté à l’obligation de signaler préalablement aux autorités que l’on se dispose à faire usage de cette liberté. Le cas échéant, l’autorité publique peut s’opposer à cet exercice, conflit qui se résout devant le juge administratif. La liberté d’association relève de ce régime, une association n’ayant d’existence légale qu’une fois déclarée en préfecture (ce qui ne veut pas dire qu’une association informelle soit illégale, mais elle n’a pas la personnalité juridique (pas de compte en banque notamment).

Le régime de l’autorisation préalable est le plus restrictif : il faut demander l’autorisation à l’autorité publique, qui peut la refuser ou la soumettre à conditions. Un tel refus peut là aussi être porté devant le juge. La liberté de construire relève de ce régime, réglementé par le droit de l’urbanisme et de la construction.

Ici, nous avons affaire à la liberté de s’assembler, liberté fondamentale parmi les libertés fondamentales pour une démocratie.

La loi va toutefois opérer un distinguo, selon que le rassemblement a lieu sur la voie publique ou non. Dans ce deuxième cas, on parle de réunion publique. Dans le premier, on parle de manifestation. Une réunion ou une manifestation doivent avoir un objet, un objectif, un thème. À défaut, c’est un simple attroupement que la loi permet, en cas de risque de troubles à l’ordre public, de disperser par la force après des sommations légales[1]. Une réunion publique ou une manifestation deviennent des attroupements une fois l’ordre de dissolution donné par les autorités.

La réunion publique est réglementée par une des grandes lois libérales de la IIIe république, en un temps où le mot liberté n’avait pas été supplanté dans le cœur du législateur par celui de sécurité, la loi du 30 juin 1881.

Le principe est clair : les réunions publiques (c’est à dire ouvertes à tous) sont libres (art. 1er). Les réunions ne peuvent être tenues sur la voie publique (art. 6). Enfin, une réunion doit se doter d’un bureau de trois personnes élues par l’assemblée qui exercent la police de la réunion et peuvent le cas échéant demander à la force publique de dissoudre la réunion qui dégénérerait. Le préfet du département peut déléguer un fonctionnaire pour assister à la réunion, où il choisit sa place. Art. 8. Les infractions à la loi de 1881 sont punis des amendes de 5e classe. En outre, être porteur d’une arme quelle qu’elle soit (même hors d’état de marche) dans une réunion publique est un délit : art. 431-10 du Code pénal. La liberté de réunion est pénalement protégée : l’article 431-1 du code pénal punit d’un an de prison et 15 000 euros d’amende le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté de réunion (la peine étant aggravée au cas d’entrave concertée « et à l’aide de coups, de violences, voies de fait, destructions… » et passe à 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende). Notons que cela s’applique aux étudiants qui lors des « blocages » des facs s’opposaient à ce que les étudiants opposés à ces blocages se réunissent pour se concerter.

Vous l’aurez compris, c’est ici le régime répressif qui s’applique. Le préfet peut prendre un arrêté interdisant la tenue d’une réunion publique autre qu’électorale (celles-ci ne peuvent être interdites) susceptible de troubler l’ordre public. Mais c’est au préfet de se débrouiller pour apprendre la tenue d’une telle réunion.

Les manifestations sur la voie publiques relèvent d’un autre texte, le décret-loi du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l’ordre public. Ce texte a été pris après les terribles manifestations de février 1934 (le 6 février 1934, lors de la présentation du gouvernement Daladier, les Croix de feu organisent une manifestation antiparlementaire place de la Concorde, qui dégénère et fait 17 morts dont un policier ; trois jours plus tard, les partis de gauche appellent à une manifestation antifasciste qui dégénère à son tour et fait 9 morts).

Après avoir rappelé que les réunions publiques sur la voie publique sont interdites, l’article 1er précise que “sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable, tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique.” Cette déclaration doit être faite par les organisateurs au moins 15 jours à l’avance à la préfecture du département (ou en mairie dans les zones de gendarmerie). Notons qu’à Paris, la préfecture exige une déclaration faite un mois à l’avance, voire trois mois ou six mois si la manifestation est de grande ampleur. J’émets les plus grands doutes sur la légalité de cette exigence, même si je reconnais son caractère raisonnable. De même, quand Brice Hortefeux exige que les apéros Facebook soient déclarés au moins trois jours l’avance, il viole la loi en dérogeant au délai de 15 jours. En tout cas, pour déclarer une manif à Paris, ça se passe ici.

L’objet de cette déclaration est de permettre au préfet de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’ordre public, notamment la sécurité des personnes et des biens, aussi bien s’agissant des participants que des riverains (fermeture de certaines voies à la circulation, escorte, pose de barrières, déploiement de forces de l’ordre…), et le cas échéant d’interdire cette manifestation si le risque de trouble est trop important. C’est ainsi que la distribution de soupe de cochon par une association d’extrême droite a été interdite par arrêté du préfet, interdiction validée par le juge administratif malgré mes réserves sur ce point. La préfecture peut même fournir du matériel aux organisateurs (à paris, une vedette fluviale vous sera facturée 762,25 euros hors carburant, une barrière grise de 2m, 2,29 euros pour 48 heures).

Outre le fait qu’organiser une manifestation non déclarée est un délit puni de 6 mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende (art. 431-9 du Code pénal), et que participer à une manifestation en étant porteur d’une arme est puni des mêmes peines que pour une réunion publique, le point essentiel est que dans le cas d’une manifestation régulièrement déclarée, c’est l’État qui est responsable des dégâts causés si la manifestation dégénère en attroupement. Si elle n’est pas déclarée, ce sont les organisateurs (en fait, l’État paye, et présente la facture aux organisateurs).

Revenons-en à nos apéros Facebook et appliquons leur la loi. La première tâche du juriste est de qualifier, c’est-à-dire prendre un fait et lui donner une qualification juridique, qui déterminera le régime légal qui lui est applicable.

L’invitation étant à se réunir sur la voie publique, cela exclut la qualification de réunion publique. De fait, ces apéros relèvent de du régime des manifestations. L’article 1er du décret loi de 1935 est clair :

Sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable, tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique.

Il ne fait pas de doute qu’un apéro géant est un rassemblement de personnes sur la voie publique.

Mais le problème qui se pose ici est celui de l’existence d’organisateurs, sur qui pèse l’obligation de déclaration.

Qui est l’organisateur d’une telle manifestation ? La réponse qui vient naturellement à l’esprit est : la personne qui crée l’événement sur Facebook, puisqu’elle choisit le thème, le lieu et l’heure.

Admettons, sur le plan administratif du moins, ne serait-ce que par défaut : on ne voit pas qui d’autre pourrait être qualifié d’organisateur. Encore que celui qui va relayer la proposition à ses 500 amis qui habitent le coin va plus être organisateur que celui qui s’est contenté de proposer de se retrouver à tel endroit.

Mais le problème est que la personne qui crée l’événement n’a probablement pas conscience d’être organisatrice d’une manifestation. Dans son esprit, cela revient à proposer à ses amis de se retrouver à tel endroit, sauf qu’avec Facebook, on a des centaines d’amis. Voire des milliers. Et elle peut même oublier avoir créé cet événement et n’être même pas présente sur les lieux du rassemblement. Bref, voilà une base bien légère pour fonder des poursuites pénales (l’article 431-9 punit le fait d’avoir organisé une manifestation non déclarée, or organiser suppose un peu plus d’implication de décider d’une date et d’un lieu), outre les difficultés à identifier l’organisateur qui pourra très facilement s’assurer un anonymat absolu (créer un compte éphémère avec un e mail jetable en se connectant en maquillant son adresse IP ; ne croyez pas que ce soit si compliqué que ça). En tout état de cause, l’obligation de déclaration 15 jours à l’avance risque de ne pas être remplie et les autorités d’être prises de court. Ce qui devrait toutefois nous rassurer sur l’état de la police politique en France. Les ex-RG semblaient avoir pour mission d’espionner la France. Voyez qu’un simple apéro Facebook les laisse désarmés. Amis paranos, dormez en paix.

La technologie permet aujourd’hui de lancer très simplement un appel à une manifestation (quelques secondes suffisent) qui va vivre sa propre vie même si celui qui l’a lancé s’en désintéresse, ce qui était autrefois impossible (organiser une manifestation exige en principe une dépense d’énergie considérable pour réussir à mobiliser un nombre substantiel de participants, demandez aux délégués syndicaux…). La nouveauté est là. L’internet en général, et Facebook en particulier vu le grand nombre de connectés actifs et la mode qui l’entoure ont créé un gigantesque porte-voix accessible à tous. Il faudra que les autorités publiques en prennent leur parti, car cet état de fait va durer. Et attention à l’effet déformant de la nouveauté : que le support soit nouveau ne signifie pas que le phénomène le soit, et les manifestations illicites ne sont pas nées avec le HTTP. De même que les jeunes de 20 ans n’ont pas attendu l’invention des liens hyptertextes pour se mettre inutilement en danger, quitte parfois à perdre la vie, et les vieux (qui ne sont jamais que des jeunes qui ont survécu à leur jeunesse) en ressentent toujours une rage impuissante. On a tous un copain de jeunesse qui est mort bêtement. Le mien s’appelait Éric.

Un dernier point : Facebook est-il responsable de ces apéros, et s’ils dégénèrent, peut-on le frapper au portefeuille ?

La réponse est à mon sens négative. La société Facebook UK Ltd (société de droit anglais qui gère le site pour l’Europe) n’a pris aucune part active à cette organisation et n’exerce aucun contrôle de son contenu. Il est hébergeur de l’événement au sens de la Loi sur la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN), qui est la transposition d’une directive européenne, donc il est certain que le droit anglais ne dit pas autre chose.

Je note avec satisfaction que le gouvernement semble ces derniers jours avoir renoncé à tenter d’interdire ces manifestations en surfant sur le décès de Nantes, ce qui aurait été matériellement impossible et au contraire leur aurait assuré un succès durable en leur donnait un cachet de rebellitude [2]. On finira par croire que la République a peut être des ennemis plus dangereux que les burqas et les apéros. L’ancien premier président de la Cour de cassation Pierre Truche est l’inventeur d’un concept que j’aime beaucoup et qu’il présentait comme un des ciments de la paix sociale : celui de l’illégal tolérable. Ou en somme, faute de pouvoir interdire ces événements, feignons de les tolérer.

A la vôtre.

Notes

[1] qui doivent être faites via haut parleur (ou à défaut après tir d’une fusée rouge) par une personne revêtue des insignes visibles de ses fonctions : écharpe tricolore pour les autorités civiles dont le préfet, brassard tricolore pour les autorités militaires. Sommations : 1 : « Obéissance à la loi. Dispersez-vous ». 2 : « Première sommation : on va faire usage de la force » 3 : « Dernière sommation : on va faire usage de la force ». Cette dernière sommation doit être doublée s’il va être fait usage des armes, bangkok style. Art. R. 431-1 et s. du Code pénal.

[2] PPlénitude de la rébellion.

mardi 31 mars 2009

Vade mecum de la comparution immédiate (3)

(Lien vers la première partie)
(Lien vers la deuxième partie)

Troisième partie, avec aujourd'hui : l'audience et ses suites.

Tout d'abord, avant même d'entrer dans le prétoire, votre préoccupation sera de retrouver les proches de votre client que vous aurez pu prévenir, pour qu'ils vous remettent les documents que vous leur avez demandés. À Paris, aucune photocopieuse publique n'est disponible. Le tribunal a l'habitude de se débrouiller avec les originaux, qu'il vous restituera dès le jugement rendu.

Vérifiez les documents. Écartez les inutiles et surtout les douteux. Qu'est-ce qu'un document douteux ? Dame ! Vous êtes juriste : lisez-les comme vous lisez les pièces adverses : cherchez la petite bête. Les faux sont souvent grossiers, mais c'est parfois plus subtil. Par exemple, deux grands classiques, qui disparaissent avec le temps, étaient les bulletins de paie antérieurs à 1990 qui mentionnaient la CSG et les bulletins de paie antérieurs à 1999 en euros, mais aussi des justificatifs dont la date est incompatible avec le récit de votre client. Le procureur, lui, aura cette lecture critique. Et en pleine audience, ça fait très mal. Un faux identifié, et vous pouvez dire adieu à toute chance de contrôle judiciaire. Écartez tout document suspect.

Arrivé dans la salle, deux voire trois visites s'imposent.

À l'huissier tout d'abord, qui est le chef d'orchestre de l'audience. Qu'il sache que vous êtes là, prêt à plaider ; profitez-en pour lui demander l'enquête rapide de personnalité et consultez-là avec soin.

Au greffier ensuite, si vous avez des conclusions à déposer. Il les visera, et si ce sont des conclusions en nullité de procédure,vous êtes à l'abri de la forclusion.

Pour les mékéskidis curieux : les demande en nullité de la procédure, ou de pièces de la procédure, doivent être soulevées in limine litis, à la frontière du litige, c'est à dire avant toute défense au fond (art. 385 du CPP). Faute de quoi, vous êtes forclos. La jurisprudence, de manière très critiquable, considère que l'interrogatoire du prévenu constitue une défense au fond (donc en suivant ce raisonnement, l'interrogatoire en garde à vue est aussi une forme de défense ; c'est pour ça qu'on tient l'avocat éloigné, je suppose) et rend irrecevable les moyens de nullité. Pour ma part, j'estime que l'article 385 doit s'entendre comme : ça doit être la première chose que demande l'avocat. Mais la cour de cassation ne m'écoute jamais, j'ai l'habitude.

Or en correctionnelle, surtout en comparution immédiate, ça va très vite. Le président va ouvrir l'audience en constatant l'identité du prévenu, en rappelant la citation, et en lui demandant s'il accepte d'être jugé tout de suite. Quand votre client aura dit “oui”, il ne vous reste qu'une fraction de seconde pour intervenir en disant que vous soulevez une nullité. Sinon, c'est trop tard : il suffit que le président aborde les faits pour que abracadabra tel monsieur Jourdain vous vous défendiez au fond sans le savoir. Résultat votre client sera valablement jugé même si la police a violé toutes les dispositions du code de procédure pénale. Déposer des conclusions, même sommaires et manuscrites, vous met à l'abri de ce piège. Et pour répondre à votre question probable sur l'utilité de ces dispositions, je vous réponds très clairement : aucune à part entraver la défense. Le législateur sait qu'il ne peut toucher à certains droits fondamentaux. Mais il peut tout à fait exiger de les exercer dans des délais qu'il impose et qui peuvent être fort courts. Au point de piéger immanquablement le prévenu qui voudrait se défendre seul (voyez le dernier cas du film 10e chambre de Raymond Depardon). Certains magistrats m'opposeront qu'il y a une certaine logique à traiter de la procédure avant le fond, et qu'il faut qu'il soit tranché sur la validité de la procédure avant que de commencer à juger. L'argument ne tient pas puisque le même CPP qui prévoit cette forclusion impose au tribunal de joindre l'incident au fond, c'est-à-dire que le fond devra de toutes façons être examiné (art. 459 du CPP), sauf impossibilité absolue ou disposition touchant à l'ordre public. Si là, on ne nage pas en pleine hypocrisie : votre client est jugé en violation de la loi pour avoir violé la loi.

Dernière visite, obligée : celle au procureur. A minima pour le saluer, et lui indiquer quel prévenu vous assistez. Lui présenter vos pièces si vous en avez, lui remettre une copie de vos conclusions si vous en déposez, et lui signaler les demandes particulières que vous comptez présenter (comme une non inscription au casier judiciaire). Ou signalez-lui si vous comptez demander un délai. C'est de la courtoisie et le respect du contradictoire. Et c'est dans l'intérêt de votre client. Si le parquet n'a pas vu vos garanties de représentation, vous pouvez être à peu près sûr qu'il requerra le mandat de dépôt. Pour une demande de non inscription au B2, le seul moyen de pouvoir espérer que le parquet se déclare favorable à votre demande (ce qui se traduit généralement par “ je ne m'y oppose pas ”), c'est qu'il en ait connaissance. Attention, cave procurem : un procureur à l'audience est par définition occupé. Ne débarquez pas n'importe quand. Le mode opératoire le plus simple est de vous placer discrètement au niveau de l'angle de son bureau le plus éloigné du tribunal (pour ne pas être dans sa ligne de vue), près du banc des parties civiles. Et là, vous attendez qu'il se tourne vers vous. Le moment idéal est en fait durant les plaidoiries de la défense : c'est le seul moment où il peut souffler, les plaidoiries, du moins les bonnes, j'y reviendrai, ne s'adressant qu'au tribunal (et certains confrères ont en plaidant la délicatesse de le laisser souffler très longtemps). Mais JAMAIS au grand JAMAIS pendant que le président instruit l'affaire, que le prévenu ou la partie civile s'exprime, ou pire que tout pendant que le tribunal rend un délibéré. Vous seriez l'équivalent judiciaire du téléphone qui sonne pendant qu'on est sous la douche.

Vous pouvez gagner votre place et attendre votre tour. Relisez vos notes, faites une première trame pour votre plaidoirie, et observez le tribunal, voyez comment se comporte le président, guettez les réactions des assesseurs pour voir ce qui les fait réagir, ce qui les énerve et ce qui les intéresse.
Dans un dossier où je défendais un étranger en situation irrégulière, je comptais demander que le tribunal ne prononçât point la peine d'interdiction du territoire français (ITF), car il y avait une possibilité de régularisation. Au cours du jugement d'autres affaires, j'ai remarqué qu'un des assesseurs semblait particulièrement attentif dès que des questions de droit des étrangers étaient abordées, hochant ou secouant la tête quand les arguments soulevés étaient corrects ou au contraire totalement fantaisistes. Visiblement, il connaissait la matière, ce qui est rare pour un juge judiciaire (c'est le royaume du juge administratif, le juge judiciaire n'y est qu'un clandestin). Quand mon tour est venu de plaider et que j'ai abordé cette question, c'est à cet assesseur que je me suis adressé lors de cette partie de la plaidoirie. Il a été très attentif (le président et l'autre assesseur étaient largués dans les méandres de l'article L.313-11 du CESEDA) et j'ai obtenu que l'ITF ne soit pas prononcée.

Profitons de ce temps de latence pour parler stratégie de la défense.

1 : Si vous demandez un délai ou que le tribunal renvoie d'office

Le tribunal pourra décider de renvoyer d'office si l'affaire n'est pas en état d'être jugée. En matière d'agressions sexuelles, si la victime est mineure, une expertise psychiatrique est obligatoire (art. 706-47-1 du CPP). Et il est impossible qu'elle soit produite en comparution immédiate, forcément. Plus prosaïquement, un B1 manquant peut conduire au renvoi. L'heure tardive peut aussi conduire le tribunal à renvoyer toutes les affaires restant à juger, estimant que l'épuisement des magistrats n'assure plus un procès équitable et serein (ce qui laisse deviner dans quelles conditions sera prononcé un éventuel placement en détention).

Le débat qui va se tenir est en tout point analogue à un débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention (JLD). C'est l'article 144 du CPP qui va jouer les arbitres. Ne plaidez que sur ces points-là : tout le reste est hors sujet… ou presque, j'y reviens de suite. Le point principal du débat est la garantie de représentation : qu'est-ce qui dit au tribunal que votre client sera là à l'audience de renvoi et surtout pourra être retrouvé en cas de prison ferme à effectuer. Le risque de réitération sera immanquablement mis sur le tapis en cas d'antécédents voire de récidive. Ne faites jamais de déni du B1, ça ne sert à rien. Quand un avocat dit de ne pas tenir compte du B1, le tribunal ne tient pas compte de l'avocat. Voyez plutôt le temps qui s'est écoulé depuis la précédente condamnation (et assurez-vous que ce temps n'a pas été passé en détention). Si votre client s'est tenu à carreau pendant 4 ans, il est peut-être en récidive, mais il a montré qu'il tentait de se réinsérer. S'il a réitéré à peine sorti de prison, demandez-vous pourquoi vous avez demandé un délai. Le tribunal peut prononcer un contrôle judiciaire : suggérez-lui les obligations utiles. Le tribunal pensera de lui-même aux classiques : obligation de soin, domicile, travail, pointage. Indemniser la victime peut être une suggestion de votre part : ça informe le tribunal que votre client reconnaît les faits et veut assumer sa responsabilité. Mais l'article 138 du CPP contient une foule de possibilités : à vous de les explorer pour le tribunal, qui sera ravi d'avoir une proposition pertinente à laquelle il n'aurait pas pensé. N'hésitez pas, si le parquet a parlé de la gravité des faits, à rappeler au tribunal que le critère de trouble à l'ordre public a été supprimé pour les affaires correctionnelles. L'info a du mal à passer.

Enfin, il y a un point à plaider qui n'est pas dans l'article 144. N'hésitez pas, si votre client conteste les faits et qu'une demande de relaxe est envisagée, de faire valoir rapidement les éléments laissant entendre que votre client est peut-être bien innocent. Pas de démonstration, mais juste de quoi instiller le doute. La probable culpabilité ne fait certes pas partie des critères de l'article 144. Mais quoi qu'on en dise, tout juge (ça vaut aussi devant le JLD) réfléchira à deux fois avant de mettre en détention une personne qui n'a peut-être rien fait. Ça peut être une phrase du certificat médical : “ aucune lésion traumatique visible ”, l'ITT ne reposant que sur des douleurs à la palpation et des céphalées… c'est-à-dire les propos de la victime. Ça peut être la pièce qui vous manque et qui fait que vous avez demandé le renvoi : votre client était en déplacement à ce moment, la police n'a pu le vérifier pendant la garde à vue, mais vous pouvez vous procurer une preuve (précisez laquelle). Là aussi, c'est du vécu : le client avait été mis en garde à vue le vendredi soir et comparaissait le lundi : son employeur n'avait pu être joint le week end. Il a finalement été relaxé : il était à Dijon le jour des faits et son employeur lui a fourni les documents le prouvant. Vous serez surpris de l'efficacité de cet argument bien que hors champ de l'article 144.

Épilogue : Si votre client est remis en liberté, la comparution immédiate est terminée et la procédure bascule dans le droit commun pour la suite (notamment, pas de placement en détention pour une peine inférieure à un an ferme sauf récidive). L'affaire est renvoyée contradictoirement. Attention : votre client ne recevra pas de convocation, l'avis donné verbalement vaut convocation. N'hésitez pas à le lui noter sur un papier : il est libre, vous pouvez lui donner des objets sans que l'escorte, qui n'est plus qu'un guide, n'y puisse redire.

Si votre client est placé en détention, l'affaire est également renvoyée contradictoirement, mais votre client n'a pas à noter la date : il sera conduit devant le tribunal (art. 409 du CPP). Le renvoi a lieu à entre deux six semaines, deux à quatre mois en cas de délit passible de sept ans de prison ou plus. Dans les deux cas, votre mission s'achève là. Si vous êtes choisi, vous devrez demander un avis de libre communication au parquet (appelé à tort permis de communiquer, le parquet ne vous permet rien du tout, c'est un droit) et à vous l'allée des Thuyas, des Peupliers ou la rue de la Santé. Vous pouvez d'ores et déjà écrire à votre client : n'oubliez d'apposer votre cachet et d'écrire lisiblement sur l'enveloppe "avocat" afin que votre courrier ne soit pas ouvert.

Demander un délai, c'est bien. Mais vous pouvez aussi, et c'est un droit très, trop rarement utilisé, demander au tribunal d'ordonner pendant ce laps de temps tout acte d'information que vous estimez nécessaire à la manifestation de la vérité, relatif aux faits reprochés ou à la personnalité de l'intéressé : art. 397-1, al.3 du CPP. Cette demande peut être présentée oralement, mais il vaut mieux déposer des conclusions pour être sûr d'être bien compris. C'est un droit : le tribunal qui refuse de faire droit à cette demande doit rendre un jugement motivé (même article). Un tel refus peut être frappé d'appel (mais pensez à faire une requête en admission immédiate de l'appel dans le délai de 10 jours : art. 507 du CPP). Attention, certains tribunaux joignent cette demande au fond, invoquant l'article 459 du CPP. Rappelez au tribunal qu'une circulaire du 14 mai 2004 prône un jugement immédiat sur la question. Une jonction au fond vide de tout intérêt une telle demande puisque vous avez besoin de cette mesure pour plaider au fond. Une circulaire n'a certes pas force obligatoire. Mais l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme sur le procès équitable, oui.

2 : Si vous plaidez au fond

Rappelons que cette branche de l'option ne doit être retenue qu'en dernier recours, si vous êtes certain qu'un délai n'apporterait rien, n'avez aucun acte à demander, que vous pensez avec assez de certitude pouvoir éviter une peine de prison ferme dans un dossier où la détention provisoire serait probable, ou que la peine de prison ferme prononcée permettrait d'envisager une sortie à peu près au moment de l'audience de renvoi. Et surtout, souvenez-vous que votre client doit participer à ce choix.

La comparution immédiate reste une procédure grandement dérogatoire. Les droits de la défense sont adaptés aux spécificités de cette procédure. Il faut les connaître et ne pas hésiter à les utiliser.

► Vous pouvez soulever une nullité de procédure (art. 385 du CPP).

Ça, tous les avocats le savent. Je ne reviendrai pas dessus. Et je ne vais pas vous faire une liste exhaustive des nullités potentielles. Si vous ne les connaissez pas, permettez-moi une question : qu'est ce que vous fichez aux comparutions immédiates ? Gardez à l'esprit qu'une nullité ne frappe que les actes concernés et ceux qui ont l'acte nul pour support nécessaire, et qu'en aucun cas une nullité de procédure ne peut désaisir le tribunal : le procès verbal de comparution reste valable (sauf s'il est lui-même nul, là c'est banco, le parquet ne peut que re-citer, c'est la remise en liberté automatique, mais ça n'arrive pratiquement jamais : j'ai vu une fois un procureur qui avait oublié de signer). Donc le tribunal reste saisi, et joignant l'incident au fond, peut statuer au vu des pièces non annulées et des déclarations à l'audience. Concrètement, il n'y a guère que la nullité de la saisine interpellation (conditions de la flagrance non remplies), ou un défaut de notification de la garde à vue qui peut faire assez de dégâts à un dossier pour rendre la relaxe inévitable (sous réserve de l'évolution jurisprudentielle de l'enregistrement des gardes à vue…). Après, chaque tribunal a sa jurisprudence. Ma position est : soulevez tout ce que vous pouvez.

► Vous pouvez demander un supplément d'information (art. 397-2 al. 1 du CPP).

La demande de supplément d'information peut être formée en cours d'audience, même si le prévenu a renoncé au délai : art. 397-2 du CPP. Tout simplement parce que la raison d'être de ce supplément peut apparaître au cours des débats. Le tribunal peut le faire d'office, mais n'hésitez pas à le demander. Dans cette hypothèse, le refus d'acte n'a pas à faire l'objet d'un jugement motivé. La mesure d'instruction est confiée à un des juges du tribunal, comme en droit commun (art. 463).

► Vous pouvez demander le renvoi devant un juge d'instruction (art. 397-2 al. 2 du CPP).

Même au cours des débats. Dans ce cas, le tribunal statue sur la détention du prévenu jusqu'à sa comparution devant le juge d'instruction qui doit avoir lieu le jour même, ou dans les trois jours ouvrables si votre tribunal n'est pas un pôle de l'instruction (avec le cas échéant passage par la case JLD). Cette possibilité ne doit être utilisée qu'avec précaution, le basculement vers l'instruction n'étant pas une garantie de clémence envers votre client (surtout si les faits reçoivent une qualification criminelle). Tâchez de savoir qui est le juge d'instruction de permanence avant de vous décider. J'ai déjà vu le parquet faire passer en CI un dossier manifestement criminel, et demander au tribunal de lui renvoyer le dossier. C'était juste une ruse (un esprit chagrin comme le mien parlerait de détournement de procédure) pour éviter de faire péter le délai[1] de 20 heures de l'article 803-3 du CPP.

► Vous pouvez citer des témoins (art. 397-5 du CPP).

Quand je vois aux CI un avocat venir demander la bouche en cœur au président s'il veut bien entendre un témoin qui est dans la salle au titre de son pouvoir de police des débats (art. 444 du CPP), j'ai envie de lui jeter à la figure mon code ouvert à la page de l'article 397-5. Le président peut refuser d'utiliser son pouvoir de police, sans avoir de compte à rendre. Il ne peut pas refuser d'entendre un témoin régulièrement cité. Or en CI, vous pouvez les citer sans forme : pas de délai de 10 jours (on se demande comment on pourrait le respecter, l'infraction a eu lieu il y a deux jours), pas d'huissier : vous pouvez vous contenter de le faire oralement, à l'américaine, au début de l'audience, même si là aussi je recommande de le formaliser par écrit, écrit que vous aurez remis au greffier préalablement à l'appel de votre affaire (et informez-en le procureur !). Concrètement, vous prenez une feuille, vous écrivez dessus : Je soussigné maître Eolas, avocat au barreau de Paris, cite par la présente monsieur Tancrède Gétouvu-Méjdirayrien, né le 1er avril 1969 à Poisson (Saône et Loire), demeurant 1 rue du Blog 75021 Paris, à comparaître à l'audience de la 23e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris du 31 mars 2009 à 13h30, en tant que témoin dans l'affaire Ministère public contre Jtijure Spamoa, parquet n°0912345678. Datez signez, et en dessous, faites écrire à votre témoin : "reçu et pris connaissance de la présente citation", date et signature. Emballez c'est cité.

► Pensez aux demandes accessoires !

La relaxe ou la clémence, c'est bien gentil, mais pensez aussi à demander la restitution des scellés : elle est de droit sauf si la chose saisie est illicite ou dangereuse (auquel cas sa confiscation est de droit ; “ Non monsieur, le tribunal ne vous rendra pas votre barrette de shit, même si vous l'avez payée avec vos sous ”) ou que la confiscation est prononcée à titre de peine accessoire (chose ayant servi à commettre l'infraction ou en étant le produit) en cas de condamnation.

Pensez à la demande de non inscription au B2 du casier judiciaire. Motivez-là (travail dans la sécurité, concours administratif en préparation…). Évitez toutefois la motivation de cet avocat expliquant que son client poursuivi pour vente de stupéfiants voulait passer le concours de la gendarmerie (même si ça a bien fait rire les moblots de l'escorte).

► Plaidez sur la peine !

En CI, pas de chichi, on fait du subsidiaire quand on demande la relaxe. Ne prenez pas le risque de priver le tribunal de vos lumières s'il entrait en voie de condamnation contre toute évidence. Étudiez le B1, voyez les peines exclues ou impossibles, et proposez une solution réaliste (pas de dispense de peine quand il y a une victime non indemnisée). Le droit de la peine est formidablement complexe (même des procureurs s'y trompent parfois), mais il y a des trésors enfouis quand on se donne la peine d'aller les chercher au-delà du diptyque prison - amende. Une proposition originale et bien pensée peut séduire le tribunal.

Et pensez à la motivation ! De plus en plus, le tribunal se trouve forcé de motiver la clémence, et non plus la prison ferme. Si vous êtes en récidive, le tribunal devra motiver spécialement le fait d'écarter une peine plancher ou l'emprisonnement, voire exceptionnellement de ne pas recourir au placement en détention en cas de récidive de violence ou d'agression sexuelle. C'est à vous de fournir cette motivation, clés en main au tribunal. Si vous ne faites pas l'effort, il y a peu de chances qu'il le fasse à votre place. Surtout en fin d'audience.

Leave parquet alone !

Quand on plaide, on parle au tribunal. Ne répondez jamais aux réquisitions du parquet. Ça trahit le civiliste aussi sûrement que celui vouloir plaider au tribunal administratif. C'est la plaidoirie du néant, celle de ceux qui n'ont rien à dire. Répondre au parquet, ça revient à dire : “je suis nul, mais le proc l'est plus que moi”. C'est possible, notez, mais le proc, il prend le café avec le président et il lui dit “tu”. Je ne parle même pas d'agresser verbalement le parquetier. Non seulement c'est inutile (ce qui est déjà une faute pour l'avocat), mais c'est discourtois, et ça va braquer le tribunal : c'est un collègue que vous agressez, malgré tout.

En plus, la plupart du temps, le tribunal n'aura même pas écouté le parquet. Il aura juste noté la proposition de peine. Lui répondre, c'est attirer l'attention du tribunal sur son argumenation. Retenez bien : les réquisitions du parquet n'ont pas assez d'importance pour qu'on s'attarde dessus. Vous avez peu de temps pour plaider (le tribunal vous suivra 5 minutes, 7 si vous êtes un orateur hors pair ; au delà, il commencera à s'inquiéter de l'heure à laquelle il va finir par votre faute). Vous avez largement de quoi remplir ce peu de temps.

Il y a bien sûr une exception, comme toujours en droit : si vous êtes d'accord avec le parquet. Si le parquet a requis la relaxe, ou “s'en rapporte” ce qui chez certains parquetier semble être la formulation la plus proche du mot relaxe qu'il soient capables de prononcer, ou demande une peine légère avec remise en liberté à la clef, oubliez tout ce que je viens de dire : il faut attirer l'attention du tribunal là-dessus. Ne chipotez pas deux mois avec sursis simple si le proc en propose trois, ça fait mesquin (et souvent, le tribunal prononcera de lui-même deux mois pour bien montrer qu'il est indépendant). Dites que le parquet a raison d'écarter tout emprisonnement ferme, qu'une telle peine concilie les intérêts de la société représentée par le parquet, ceux de votre client en ne remettant pas en cause son insertion, ajoutez vos arguments en faveur d'une telle décision et soyez particulièrement bref, le tribunal ne devrait pas se montrer plus royaliste que le procureur.

► Soyez là lors du délibéré.

Quand je vois un avocat qui, ayant fini de plaider, s'en va et laisse son lient seul lors du délibéré, je cours récupérer mon code de procédure pénale que j'ai laissé dans la figure de l'avocat qui ne cite pas ses témoins pour l'envoyer dans celle de ce confrère (oui, à Paris, les compas, quand j'y suis, c'est violent). Vous devez être à ses côtés lors du délibéré, c'est la moindre des choses. Il va peut-être partir en prison plusieurs mois, voire plusieurs années. Vous pouvez lui accorder deux heures. Pour lui expliquer, pour lui conseiller de faire appel ou non, pour recevoir ses instructions quant à sa famille. C'est ça aussi, la défense. Depuis quelques années, je constate avec plaisir que nous sommes toujours plusieurs à rester jusqu'à la fin. C'était exceptionnel à mes débuts, et j'en suis ravi à chaque fois. Bravo les p'tits jeunes. Et je pense que le tribunal apprécie. Et puis, égoïstement, quand le résultat est bon, la poignée de main et le “merci” que vous dira le client, ça vaut mille indemnités d'AJ. C'est pour ça qu'on fait ce métier, aussi. Ne vous privez pas de ces moments.

► Classe jusqu'au bout.

Quand tout est fini, n'oubliez pas d'aller saluer le procureur, sans faire de commentaire sur ses réquisitions ni sur la décision, ce serait déplacé. Un simple “au revoir monsieur le procureur” avec un sourire aimable suffit. C'est votre contradicteur, au même titre que l'avocat de la partie civile.

Nothing really ever ends

Ce n'est pas fini pour autant. Pensez, de retour à votre cabinet, à commander une copie du jugement au greffe correctionnel (à Paris, porte 160, escalier H, 2e étage). Vous l'aurez quelques semaines plus tard (le délai se réduit peu à peu, ça trime sévère). Gardez en une copie dans votre tableau de chasse et envoyez-le à votre client. Il n'est pas juriste, il n'aura pas tout bien compris, et ce document aidera son assistant social, le JAP en charge de son dossier, et lui aussi à savoir à quoi il a été condamné. Si vous ne le faites pas, personne ne le fera et il n'aura jamais copie du jugement l'ayant envoyé là où il est. Accessoirement, s'il est content de vous, il y a votre nom sur le jugement…

Enfin, le greffier vous remettra, soit à l'audience, soit par le palais, votre Attestation de Fin de Mission (AFM). Joignez là à votre demande de paiement et envoyez le tout à l'Ordre pour être payé. C'est là que vous aurez besoin des informations que vous aurez pris soin de noter (cf. la 1e partie de ce vade mecum) : nom, date et lieu de naissance, domicile, numéro parquet de l'affaire.

Bravo. Vous avez gagné 200 euros. Vous avez bien mérité une tasse de thé.


Suite et fin bientôt avec le 4e épisode : la partie civile en comparution immédiate.

Notes

[1] En langage juridique, un délai expire. Dans le jargon des avocats, laisser s'écouler un délai par inattention s'appelle faire péter un délai.

mardi 31 janvier 2006

Le discours de rentrée du Président Montfort

L'interview de Jean-Yves Montfort, citée dans mon précédent billet, était un peu courte et faisait allusion à un discours prononcé par ce magistrat lors de la rentrée solenelle du Tribunal de Versailles. 

Voici l'essentiel du texte de ce discours, où ce magistrat détaille sa pensée, texte bien plus riche que l'interview a accordée à l'Express, discours que je reproduis ici avec l'aimable autorisation de son auteur.

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