La réforme de De Block taclée par les hôpitaux chrétiens wallons : "Moins d'infirmiers signifie davantage de morts"
- Publié le 31-10-2018 à 06h38
- Mis à jour le 06-11-2018 à 21h41
Les hôpitaux chrétiens wallons critiquent vertement la réforme en cours du paysage hospitalier. Ils réclament la fin des économies budgétaires dans le secteur. Sinon, la qualité des soins baissera.
Les hôpitaux belges vivent des heures compliquées. Confrontés à une situation financière précaire, comme le montre la dernière étude Maha de Belfius, ils sont sommés par la ministre fédérale de la Santé de se réorganiser en réseaux, sur base géographique, pour le 1er janvier 2020. L’Unessa, qui regroupe les hôpitaux chrétiens wallons, tire la sonnette d’alarme. Pour Benoît Hallet, directeur général adjoint, et Aline Hotterbeex, responsable du secteur hôpitaux, il est grand temps de réinvestir dans la santé.
Selon Belfius, 40 % des hôpitaux ont clôturé 2017 sur un déficit, pour 30 % en 2016. Pourquoi cette détérioration ?
Benoît Hallet (B. H.) : D’abord, pour des raisons structurelles. Les hôpitaux doivent faire des dépenses qui sont sous-financées par les autorités. Par exemple, le dossier "patient informatisé", qui nécessite de gros investissements, n’est financé qu’à 10 % par l’État. Ou l’amélioration des barèmes pour le personnel soignant, pour lequel on va devoir avancer de l’argent, qui nous sera ensuite remboursé, en partie et sans intérêts.
Aline Hotterbeex (A. H.) : À cela s’ajoutent des mesures d’économies.
B.H. : En cinq ans, on a fait 1,2 milliard d’économies dans le secteur hospitalier. C’est énorme.
Une cause de ce déficit ne se trouve-t-elle pas dans la concurrence entre piliers chrétiens et publics ?
B.H. : Non, on ne peut pas faire de lien immédiat entre le fait de ne pas collaborer avec un voisin d’une couleur politique différente et le fait de faire des pertes.
Des économies d’échelle ne sont-elles pas possibles ?
B. H. : Des économies d’échelle existent déjà. De nombreux hôpitaux collaborent depuis des années, au niveau logistique, pour les achats… Concernant les soins médicaux, est-il difficile de s’entendre ? Il faut être prudent. Je ne suis pas sûr que les réseaux tels que Maggie De Block les imagine vont faciliter les choses. Car il y a deux conditions à la réussite d’une collaboration : une relation de confiance et une volonté médicale de collaborer, dans l’intérêt clinique du patient. Ce n’est pas parce que l’on décrète des réseaux sur le plan géographique, que cela va engendrer cette relation de confiance et cette amélioration qualitative. Il faut donc garantir une liberté d’association dans le cadre des réseaux. En outre, il ne faut pas être naïf. Des réseaux fortement intégrés peuvent aboutir à des situations de monopoles qui ne sont pas forcément bonnes pour garantir l’excellence des soins.
Le projet De Block prévoit cette liberté d’association, non ?
B.H. : La ministre n’oblige pas un tel à s’associer à un tel, mais elle décourage la superposition géographique des réseaux, hormis dans les cinq grandes villes du pays (Bruxelles, Anvers, Liège, Gand et Charleroi). Pourtant, si les réseaux doivent se superposer pour être efficaces, il faut les autoriser à le faire plutôt que d’imposer des collaborations et d’attendre 10 ou 20 ans pour que la confiance s’installe.
A.H. : Il ne faut pas croire que les réseaux, c’est LA solution aux problèmes budgétaires des hôpitaux. Ce n’est qu’un moyen parmi d’autres. Il y a déjà énormément de collaborations cliniques volontaires entre hôpitaux issus de piliers différents. Le plan De Block veut accélérer le mouvement pour, rappelons-le, des raisons purement économiques et budgétaires. La qualité arrive au second plan. Il ne faut pas se voiler la face. Mais les réseaux ne vont pas générer des économies directes, que du contraire. La mise en réseaux va demander un budget important d’impulsion dans un premier temps, de manière effectivement à y regagner à terme. Mais chaque hôpital individuel a déjà pris des initiatives pour réaliser des économies. La mise en réseaux ne suffira pas. Les nouvelles économies, ce seront des fermetures de services, voire de sites hospitaliers.
Faut-il fermer des services ?
B.H. : Il y a une contradiction dans le plan De Block. Elle imagine des réseaux locorégionaux pour accomplir les missions de base, les soins de proximité. De fait, il y aura peut-être quelques petites économies, en réduisant l’offre ici ou là. Mais tout le monde sait que, si on veut faire des économies, c’est surtout sur les services hautement spécialisés et les centres de référence qu’il faut les faire, en centralisant les forces médicales et les équipements onéreux. Mais la réforme ne dit pratiquement rien des centres de référence. On ne touche qu’à l’offre de base. On ne va pas faire de grosses économies là-dessus, sauf à décider de fermer des établissements, des maternités… Mais si c’est de cela qu’il s’agit, il faut avoir le courage de le dire. Et affirmer alors que l’accessibilité aux soins ne sera pas la même partout.
L’offre d’hôpitaux généraux en Belgique n’est-elle pas trop large ?
B.H. : Il faudrait réorienter l’offre de soins interne aux hôpitaux. L’ambulatoire se développe très fort, les séjours dans des lits aigus (médecine, chirurgie) se raccourcissent et donc les besoins de lits aigus sont en diminution. A contrario, la population continue à vieillir, avec des problèmes de multipathologie ou de revalidation. Il faudrait permettre de convertir des lits aigus en lits de gériatrie et de revalidation ou en structures qui font le lien entre l’hôpital et le domicile. Mais depuis deux ans et jusqu’en septembre 2019, un moratoire empêche de le faire. Parfois, on a des difficultés à comprendre la politique de la ministre.
Les réseaux locorégionaux vont-ils engendrer des dépenses ?
B.H. : Réaffecter l’offre de soins coûte cher. D’abord, pour la mobilité des patients. Si on opère un patient à un endroit et qu’on doit le revalider à un autre, il faudra le transférer, ce qui n’est pas nécessaire aujourd’hui. La spécialisation des institutions va augmenter les transports en ambulance. Ensuite, pour la mobilité du personnel. Plus fondamentalement, quand vous décidez d’ouvrir un service dans un hôpital A et d’en fermer un autre dans un hôpital B, ce sont des recettes en moins pour l’hôpital B. Il faut trouver des modalités, internes au réseau, qui ne mettent pas en difficulté un hôpital. C’est pour cela que l’Unessa demande que l’on garantisse les budgets hospitaliers. Sinon, l’offre de soins sera déséquilibrée, vous risquez des faillites et des gens se retrouveront sans emploi. Les hôpitaux sont les plus gros employeurs du pays…
Donc, vous dites : stop aux économies ?
B.H. : Pendant au moins cinq ans. On ne peut pas faire deux choses en même temps. Soit on fait des économies immédiates, soit on réforme et le return est à moyen terme. Il faut arrêter de voir la santé comme une dépense. Une santé de qualité, c’est un investissement. C’est une vision qui manque aujourd’hui chez les politiques. Dans les pays qui investissent dans la santé (Pays-Bas, Allemagne, Scandinavie), le niveau de santé et de bien-être est élevé et, économiquement et socialement, ces pays se portent bien. L’un va avec l’autre.
La situation financière des hôpitaux risque-t-elle d’encore se dégrader du fait de l’évolution démographique et technologique ?
B.H. : Oui. C’est pourquoi il faut investir dans les soins de santé et donc que les hôpitaux retrouvent une situation saine. Ce n’est pas parce que nous sommes des ASBL que l’on ne doit pas faire un minimum de bénéfices, afin de les réinvestir. Plus de 80 % des hôpitaux ne sont plus en mesure d’envisager avec facilité d’investir dans l’avenir. C’est l’enjeu majeur.
A.H. : L’autre enjeu, c’est qu’on arrête de ponctionner les économies réalisées par les hôpitaux pour combler des dépenses excessives d’autres secteurs, le pharmaceutique par exemple. Car les marges sont aussi nécessaires pour investir dans l’encadrement infirmier. En Belgique, le taux d’encadrement est de 1 infirmier pour 11 patients, contre 1 pour 8 en moyenne en Europe. Or des études le montrent : moins d’infirmiers signifie davantage de morts. Avec des séjours hospitaliers de plus en plus courts, vous devez faire beaucoup plus de soins en beaucoup moins de temps. Il y a une pression énorme sur le personnel. Les économies réalisées par les hôpitaux devraient être réinvesties en personnel supplémentaire.
La qualité des soins pâtit de cette pression ?
B.H. : Beaucoup d’efforts ont été faits, mais aujourd’hui, on est pratiquement à l’os. On ne pourra plus faire d’économies, si ce n’est en détériorant la qualité des soins. Un personnel pressé va commettre des erreurs. En matière d’hygiène, on ne respectera plus les normes, par exemple pour le lavage des mains. On en est là. Nous sommes conscients que, pour Mme De Block, ce n’est pas simple, dans un gouvernement qui fait des économies partout. Mais il faut investir dans la santé.
A.H. : C’est un choix de société.