Hubert : du camembert au Calvados au grand chef cuisinier français

Le Chef Hubert est un chef cuisinier à la retraite qui tenait le Bistro d’Hubert, un restaurant dans le 15ème arrondissement de Paris, boulevard Pasteur et qui a connu la grande époque de la cuisine française. Le Chef est en train d’écrire son autobiographie et nous livre ici quelques moments importants de sa vie de fromager puis cuisinier.

Bonjour Hubert, comment êtes-vous devenu cuisinier ?

Pas par vocation mais par accident. Dans les années 70, mon magasin d’affinage et vente de fromages fermiers : La Ferme Saint-Hubert, à la Madeleine à Paris était fournisseur des plus grands restaurants français, à Paris comme en province.

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La Ferme Saint-Hubert au 6 rue Cochin, à Paris

Ma rencontre avec un grand chef : Michel Guérard et mon amitié avec lui m’amena à fréquenter les plus grands chefs de l’époque, en tant que fournisseur. Je les suivai dans beaucoup de manifestations culinaires. De plus, ma clientèle parisienne me réclama un endroit où déguster ces fromages. J’ouvris donc un restaurant voué au fromage, dégustation, fondue, raclette et carte de recettes fromagères.

Mais au bout de quelques mois d’ouverture avec un grand succès, je me retrouvai sans chef de cuisine. C’est alors que par la force des choses, je me retrouvai en cuisine, les deux premières années furent très difficiles pour moi. Complètement autodidacte, grâce à mes amis cuisiniers qui n’y croyaient qu’à moitié je me forgeai cuisinier.

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Chef Hubert

Quelques années plus tard, j’ouvrais mon Bistro place du Marché Saint-Honoré derrière la place Vendôme en 1974. En 1979, j’obtins avec fierté ma première étoile Michelin.

Quelle fut les grandes périodes de la cuisine française que vous avez connu ?

En 1965, Michel Guérard s’installe à Asnières à l’enseigne du Pot au Feu, pâtissier de formation, il va très vite faire connaître son bistrot aux médias, tout Paris défile chez Guérard à Asnières, c’est l’endroit à la mode.

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Bernardin (Crazy Horse), Michel Guérard, Paul Bocuse, Gaston Lenôtre et Jjean Troisgros

 

Il y a tout juste une quinzaine de places assises et il faut réserver 3 mois à l’avance. C’est le début de la « Nouvelle Cuisine » qui va révolutionner la cuisine ancienne. Les grands noms de la profession Paul Bocuse, Raymond Oliver et quelques autres vont avec Guérard faire des recettes allégées (malheureusement chez certains allégées aussi en quantité). Des cuissons courtes, des réductions pour les sauces vont renvoyer aux calendes grecques la cuisine de crème et de farine des anciens. Tout en continuant à se référer aux anciens grands cuisiniers comme Escoffier, les nouveaux chefs allègent cette vieille dame en lui collant des atours de beauté. Les frères Troisgros sont les premiers à dresser leur fameux saumon à l’oseille sur des assiettes de trente centimètres. La décoration est soignée et attrayante.

Le public va aimer tout de suite cette nouvelle cuisine, même si elle sera critiquée un peu plus tard pour la petitesse des portions et les cuissons un peu courte des légumes « craquants ».

Pour ma part j’arrive dans la cuisine à cette période et par conviction et peut-être par le souvenir de ma mère qui faisait la « cuisine à l’eau », je vais moi aussi chercher, créer des recettes originales en respectant avant tout le produit. Et je suis resté sur cette ligne depuis.

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Dédicace de Renaud, au Restaurant Hubert, restaurant gastronomique du Chef Hubert

 

Une période de votre activité que vous regrettez ?

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Avec Jayne Taylor pour le poster des Recettes aux Peanuts d’Hubert

Je n’ai pas vraiment de regret, j’ai toujours assumé mes initiatives plus ou moins hasardeuses, elles m’ont permis de beaucoup voyager, de rencontrer d’autres cultures et c’est toujours enrichissant.

Prenons par exemple, un projet mené à bien avec mon amie américaine, Jayne Taylor. Nous avons été amenés à promouvoir la cacahuète américaine, Nous avons ainsi réalisé un livre, Les recettes aux Peanuts d’Hubert.

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Hubert et Jayne Taylor en plein cours de cuisine

 

Quel est votre plat préféré à déguster et à cuisiner ?

Je n’ai pas de plat préféré, tout comme les vins j’aime tout ce qui est bon ! J’aime cuisiner le poisson et les produits de la mer.

Le plat d’un grand chef cuisinier qui vous plait ?

La soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes.

Votre restaurant favori ?

Guy Savoy à la Monnaie de Paris

Votre type de cuisine favorite ?

Une cuisine légère, dépouillée, créative, sans farine ni crème fraîche, qui fait la part belle au produit, savoureuse et parfumée, une présentation soignée dans l’assiette.

Comment le choix du vin joue dans la dégustation d’un plat ?

C’est le travail du sommelier, c’est un vrai métier qui demande de l’exigence et du temps. C’est lui qui saura vous conseiller sur un heureux mariage plat/vin. J’ai fait des tas d’expériences avec mes différents sommeliers, le vin dans l’accompagnement des plats est primordial.

Une anecdote à nous partager de votre expérience de fromager ?

La pleine saison des fromages se situe à l’époque des vacances, durant l’exode de mes clients parisiens. Et, si je veux, par exemple, leur vendre au mois d’avril de merveilleux chabichous fermiers il me faut m’engager à prendre, aux mois de juillet et août la production du même fermier. Or à cette époque cette production est abondante et mes clients plus rares. Certes, quelques fermiers du bord des routes vendent leurs fromages aux vacanciers. mais en général les producteurs artisans ne sont pas au bord des routes et n’entendent pas faire l’effort.

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Hubert et ses fromages, au 6 rue cochin à Paris

Vente de fromages au Touquet

Ils m’envoient toute l’année toute leur production. Ils veulent continuer en juillet et août. L’idée me vint alors de suivre les parisiens en vacances, de suivre ma clientèle. Ma mère fervente habituée du Touquet, aimait la côte de la Manche. Je trouvai là-bas un petit magasin à louer, pour la saison. En plus, la municipalité m’offrait une place sur le marché. Nous voilà partis.

Il faut que je dise au passage que j’ai la chance d’avoir une mère exceptionnelle. Très bonne vendeuse, adorant le commerce et toujours à mes côtés à chaque initiative de ma part. Et elle a été gâtée en ce domaine car, sans avoir la bougeotte comme plaisantent certains de mes amis, j’ai le goût de créer sans cesse. Vingt fois sur le métier… J’ai appris cela à l’école.

Revenons donc au Touquet, station idéale pour vendre les fromages aux aoûtiens. Premièrement parce que les chèvres sont rares dans la région et les bons fromages aussi. Deuxièmement parce que la température fraîche n’ôte rien de l’appétit d’une excellente clientèle d’industriels du Nord. Ce fut le succès.

Bien entendu je continuai d’affiner mes fromages dans mes caves de parisiennes et deux fois la semaine je venais m’y ravitailler. Soit près d’un millier de kilomètres de voiture hebdomadaire, avec le temps et la fatigue que cela comporte. Je songeai à me rapprocher et c’est ainsi que la saison suivante je m’installai à Deauville.

La saison de Deauville est très courte. Pour les commerçants aussi. Mais quelle saison ! Dès le début j’eus la clientèle des plus grandes maisons et du restaurant du Champ de Course. Ce qui m’amena à fournir du même coup Longchamp et Chantilly. Puis grâce à mon amitié avec mes voisins charcutiers, je fus appelé à figurer aux buffets de la municipalité de M. Michel d’Ornano qui deviendra un fidèle client. Au restaurant comme dans les réceptions particulières on ne parlait que des fromages d’Hubert.

Le plus drôle et que je vendais à Deauville les fromages de Pont-Levêque de mon fermier situé à quelques kilomètres seulement et que même les gens du pays ne connaissaient pas. Un jour entra dans mon magasin un monsieur qui se présenta, je suis monsieur Lanquetot, j’avoue que gros fabriquant de camembert, j’adore le vôtre (celui de M. Courtonne, fabricant à Vimoutiers). J’argumentai que le travail de M. Courtonne n’était pas réalisable dans des unités de fabrication comme la maison Lanquetot. Qu’à cela ne tienne, me déclara monsieur Lanquetot, je vais lancer un nouveau slogan sur les boites de mes fromages : « camembert fabriqué à la louche » en omettant de préciser que la louche est chez eux la machine à projeter le caillé.

La naissance d’un nouveau fromage

Ayant quelques soucis malgré tout à écouler tous mes camemberts, certains se trouvaient souvent un peu avancés en affinage, j’eus alors l’idée de les gratter, puis de les rouler dans de la chapelure, en les arrosant d’un peu de calvados. Le camembert au calvados était né.

Quelques jours plus dans le journal “France-Soir” Un article disait le plaisir que le Présidant Sanghor en visite à Deauville avait beaucoup apprécié le camembert au Calvados.

Une anecdote du Bistro d’Hubert ?

Un jour que nous sommes complet comme chaque jour, mon ami Jo Olivereau, alors directeur des Relais et Châteaux, me réserve le restaurant pour recevoir toutes les chefs de cette chaîne, je note la réservation et me trompe de jour, note le mercredi au lieu du mardi. Le mardi en question, nous sommes complet et je vois Olivereau débarquant avec tous les chefs au Bistro. Je constate mon erreur et en pleine panique cherche désespérément une solution que je ne trouve pas.

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Hubert dans les cuisines du Bistro d’Hubert, place du Marché Saint-Honoré avec Maryline, sa fille, et Joëlle, sa femme

Finalement, j’ai comme voisine une restauratrice “Au Chanteclerc” qui possède au premier étage de son restaurant une petite salle très basse de plafond, on va faire monter les chefs de renom comme mes amis Jean Delaveyne et Michel Guérard, dans ce réduit en les installant presqu’assis chacun sur les genoux de l’autre et je vais en catastrophe marquer une fricassée de volaille, deux de mes chefs de rang vont traverser la place du marché avec les plats pour aller les servir.

Enfin, tout se terminera bien en trinquant au champagne. Mais quelle panique.

Que pensez-vous des critiques gastronomiques et guides ?

Nous sommes tributaires les uns des autres, sans nous les restaurateurs ils n’existeraient pas, et ils nous amènent un certain lot de clients. Le Guide Michelin reste l’incontournable et même si je suis mal placé pour le critiquer, étant donné que j’ai été le premier « Bistro » sur Paris à obtenir une étoile, je lui reproche de pousser les restaurateurs à d’énormes investissements pour obtenir une étoile supplémentaire, car moi aussi j’ai fait pareil et lorsque M. Trichot, à l’époque directeur du Guide Rouge m’annonça que j’allais obtenir ma deuxième, j’étais en train de vendre notre restaurant, épuisés ma femme et moi, nous avions décidé d’arrêter !

Aussi, quelques années plus tard, lorsque je créais un nouveau Bistro, il n’était plus question de faire la course aux étoiles.

Pour le reste des guides, maintenant avec Internet et les sites, je pense qu’ils n’ont plus autant d’influence.

Un hommage à rendre à un ami cuisinier ?

Oui, à notre ami Bernard Loiseau disparu trop tôt. Ce garçon enthousiasme , généreux et fidèle en amitié, était avec Bocuse un véritable vecteur pour notre profession. Tu nous manques Bernard !

Un dernier mot pour les petits jeunes qui se lancent dans la cuisine ?

Un seul mot : passion car elle est indispensable pour tenir dans ce métier difficile. Mais avec elle tout devient possible, et une grande carrière est à leur portée. Qu’ils choisissent d’être patron ou de travailler dans les grands hôtels. Dommage, que nos gouvernements successifs n’aident pas davantage l’apprentissage.

Nous avons la chance de vivre dans un pays où la cuisine est reine et c’est merveilleux.

Je suis fier d’être français.

 

Retrouvez toutes les recettes du Chef Hubert sur son blog de recettes de cuisine mais aussi sur Sofoodmag.

Emilie L

Ne fait pas parti de l’univers de la gastronomie, mais est néammoins passionnée par cet univers. Le but d’Emilie est de tout goûter et découvrir le maximum de saveurs. Sofood Mag lui permet de partager sa passion et ses découvertes pour en faire un magazine en ligne sur l’univers de la gastronomie, de la cuisine, de la bonne bouffe… Le but est d’inspirer, voire de partager quelques recettes de temps en temps.

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