Tout le monde a encore en tête le célèbre slogan : «Il faudrait être fou pour dépenser plus ». Mieux vaut cependant éviter de le citer devant François Feijoo, le patron de la marque Eram. Ce n'est pas que le fabricant français de chaussures veuille renier son héritage, mais il en a assez qu'on parle de la marque au passé. «La nostalgie n'est pas une valeur d'avenir, assure-t-il. Nous préférons vivre dans notre époque. Si nous refaisons de la pub télé, ce sera forcément différent. Quel intérêt de refaire ce qu'on a déjà fait ?»

Mais si nous évoquons devant lui ce slogan, c'est que les publicités Eram des années 1980 sont gravées dans l'inconscient collectif. Il suffit de taper «Eram» dans YouTube ou sur Google pour tomber immédiatement sur les fameux spots. Notamment celui réalisé par Etienne Chatiliez en 1989, avec un François Berléand qui, demandant à des «dames» du bois de Boulogne «C'est combien ?», s'entend répondre : «165 francs»... le prix des chaussures ! «L'époque a changé, reprend François Feijoo, on ne pourrait plus faire ce genre de publicité aujourd'hui.»

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Les pubs décalées qui jouent avec les codes de la famille, c'est donc terminé. La dernière, en date de 2011, avait d'ailleurs (juste avant le débat sur le mariage pour tous) des allures de tract politique : «Comme disent mes deux mamans, la famille, c'est sacré.» Aujourd'hui, Eram veut rompre avec la provoc afin de recoller à son image originelle de marque familiale et populaire.

La publicité Eram fait partie des slogans cultes, avec notre quiz, révisez vos classiques.

Pour l'enseigne, la modernité passe désormais par le numérique (avec un nouveau site Internet qui offre les services de click and collect et e-reservation), une refonte complète de ses points de vente, des collections plus souvent renouvelées (jusqu'à deux fois par saison) et des partenariats chics, comme avec la très branchée créatrice parisienne Inès-Olympe Mercadal. Bref, à presque 90 ans, la marque de chaussures la plus connue des Français est à la relance.

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> Où en sont les ventes de chaussures en France ? Marques historiques et vendeurs en ligne, notre vidéo livre l'état des lieux du marché : (Cliquez sur l'image pour lancer la vidéo)

UNE MARQUE QUASI CENTENAIRE. Le PDG du groupe, Xavier Biotteau, a retrouvé le sourire : «Les entreprises sont mortelles, mais nous espérons fêter notre centenaire en 2027.» S'il y tient tant, c'est qu'Eram c'est toute l'histoire de sa famille.

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Xavier Biotteau, le P-DG d'Eram

En 1927, ses grands-parents créent, dans un petit coin du Maine-et-Loire, une fabrique de chaussures, les Etablissements Biotteau-Guéry. L'entreprise familiale produit une galoche pour enfants. Ce sabot en cuir, vendu dans les commerces locaux, remporte un franc succès. La production se diversifie et la petite fabrique laisse place à une usine qui, dès 1930, produit plus de 600 paires par jour.

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La marque devient la plus importante de la région de Cholet, qui est à l'époque la capitale de la chaussure, avec Romans, dans la Drôme. Mais si celle-ci est connue pour ses modèles de luxe, dans la petite localité du Maine-et-Loire, on fabrique de la chaussure grand public. Un positionnement qui n'a pas varié avec le temps.

> Romans-sur-Isère fut la capitale de la chaussure de luxe. Deux entrepreneurs veulent relancer le soulier à la française, découvrez-les dans notre vidéo :

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Outre le savoir-faire (il y a dans la famille des ancêtres cordonniers dès 1890), les Biotteau comprennent rapidement que le «faire savoir» est essentiel et va devenir le nerf de la guerre de la société de consommation naissante. Le marketing sera dès lors consubstantiel au développement de l'entreprise. Et, en 1932, les Etablissements Biotteau-Guéry deviennent Eram. Ce nom simple et facile à retenir est un acronyme constitué des deux premières lettres inversées des prénoms des fondateurs : ER pour René et AM pour Marie.

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En 1912, la famille était déjà dans la cordonnerie.

LE PREMIER DISCOUNTER FRANCAIS. La société rachète des usines et installe son siège dans le petit bourg de Saint-Pierre-Montlimart, qu'elle occupe encore aujourd'hui. La fin des années 1930 marque pourtant un coup d'arrêt. En 1936, le Front populaire fraîchement élu fait voter la loi Le Poullen, dite «anti-Bata» (du nom d'un autre chausseur célèbre) qui, afin de freiner le gigantisme des acteurs de la chaussure, interdit aux marques la création de nouvelles usines ou l'ouverture de nouveaux magasins.

Durant la Seconde Guerre mondiale, la situation s'aggrave avec les pénuries ; Eram a alors l'idée de récupérer de vieux pneus pour fabriquer ses semelles. Les Biotteau, qui décidément ont de la ressource, ont l'idée en 1942 de se lancer dans un nouveau business dont ils ne savent pas encore qu'il fera leur fortune : le commerce direct. Eram ouvre sa première boutique à Levallois, en région parisienne.

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Désireux de s'affranchir des réseaux de détaillants, Eram ouvre en 1942 sa première boutique. Une stratégie qui se révélera (très) payante.

Fabriquer et vendre directement auprès du consommateur final : telle est la stratégie mise en œuvre, mais non sans difficulté. Car, à l'époque, ces deux métiers sont bien distincts. En 1948, la Fédération nationale des détaillants en chaussures appelle ainsi au boycott d'Eram. La société se retrouve avec 100.000 paires sur les bras que les magasins ne veulent plus écouler.

Une situation qui aurait pu la conduire à la faillite, mais Albert-René Biotteau ne s'en laisse pas conter et lance les premières ventes discount de son histoire. Un succès colossal qui permet à Eram de se faire un nom dans toute la France. Pour ne plus dépendre des réseaux de détaillants, la marque accélère le développement de ses boutiques. En France comme à l'étranger, puisque le groupe ouvre, à partir de 1969, des filiales en Europe du Nord et au Portugal. Il devient, en 1970, le premier exportateur français de chaussures (11,3 millions de paires entre 1963 et 1968) et compte alors 80 magasins répartis dans l'ensemble de l'Hexagone.

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Pour proposer toujours plus de produits abordables, Eram multiplie les innovations et crée, en 1954, le procédé Plastiflor qui permet de produire des semelles en plastique par injection. Ces chaussures seront vendues sous la marque Vylar (encore un acronyme, formé cette fois à partir des prénoms des enfants du fondateur, Yves et Albert-René).

En 1971, l'entreprise met au point l'injection de polyuréthane qui est utilisée pour fabriquer des semelles de chaussures de sport. La marque TBS voit ainsi le jour. C'est le début de la diversification. Car Eram ne se résume pas aux boutiques et aux chaussures du même nom. Le groupe est aujourd'hui constitué d'une douzaine d'enseignes et de marques qui ont réalisé 1,62 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2014. La marque Eram en tant que telle ne pèse que 12% du total.

ERAM MET UN PIED DANS LE TEXTILE. L'artisan de cette diversification, c'est Gérard Biotteau, le fils du fondateur, qui a pris les rênes de la société en 1970. Aussi discret que l'était son père (les Biotteau n'apparaissent jamais dans les médias par exemple), il est en revanche bien moins timide en affaires. Il multiplie notamment les créations de marque (Buggy en 1979, Parade en 1978...), rachète Bocage en 1977, puis Heyraud en 1995.

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Mais le plus gros coup du groupe est la création de Gémo en 1991. Alors que la chaussure entame un long déclin en France, Eram fait son entrée dans le monde du textile avec cette enseigne discount qui deviendra la plus grosse activité du groupe. Les rachats de Vetir puis Tati en 2004 aideront l'entreprise à continuer de croître dans un environnement peu propice à la chaussure.

> Comment les enseignes à bas prix comptent attirer encore plus d'acheteurs ? Réponses avec l'expert Damien Festor : (Cliquez sur l'image pour lancer la vidéo)

Dans les années 1990 puis 2000, la voilà confrontée à une concurrence mondiale agressive. La société délocalise une partie de sa production au Portugal et en Chine. Mais, contrairement à certains concurrents, elle a l'intelligence de conserver des usines en France, afin de ne pas perdre un savoir-faire précieux. Ce qui lui permet d'espérer aujourd'hui repartir du bon pied.

A LA CONQUETE DU NET. En 2013, Xavier Biotteau a recruté un nouveau directeur général, François Feijoo, venu de chez André. Sa mission : contrer les spécialistes du Web que sont Sarenza, Zalando ou Spartoo et qui pèsent désormais 15% des achats en France. Pour cela, il a musclé son équipe digitale (en recrutant notamment chez Google), laquelle vient de mettre au point un nouveau site, plus moderne et ergonomique. L'objectif : faire passer de 3 à 10% la proportion de ventes réalisées en ligne.

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Eram a commencé la rénovation de ses boutiques.

Mais Eram ne veut pas pour autant se muer en pure player. «Les magasins restent et resteront la priorité», assure François Feijoo. D'où l'actuelle rénovation de toutes les boutiques (100 chantiers sur 350 ont déjà été menés à bien) dont la conception a été confiée au très en vue cabinet Saguez, un des papes du design de magasin. Des lieux plus grands, plus lumineux (des flagships ont déjà été ouverts à Paris ou à Aix-en-Provence), qui exigent des investissements lourds.

Mais cela ne fait pas peur à Eram, qui a compris que, dans l'industrie et le commerce, c'est ne pas dépenser qui pourrait être fou...

> Découvrez les parapluies Piganiol, une entreprise familiale qui a résisté à la concurrence chinoise :

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♦ Entretien avec François Feijoo, le DG d'Éram : «Nous voulons conserver notre savoir-faire !»

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Malgré un contexte sinistré, le nouveau DG compte bien faire évoluer la marque originelle et récupérer le leadership de la chaussure en France.

Management : Pourquoi avoir rejoint Eram ?

François Feijoo : Parce que le projet de relance était très excitant. Eram est une marque mythique avec un gros potentiel, mais qu'il fallait moderniser, et on nous en donnait les moyens. C'est l'avantage et la force des sociétés familiales : on peut y installer des stratégies de long terme.

Management : La production de chaussures en France a presque disparu. Allez-vous la relancer ?

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François Feijoo : Pour des raisons de coût, nous ne pourrions pas réaliser la totalité de notre production en France. Malgré tout, 1,2 million de paires sortent chaque année de nos usines, ce qui fait de nous l'un des plus gros producteurs français. Certes, c'est une petite part de nos volumes, mais nous tenons à conserver ce savoir-faire qui est notre héritage.

Management : Comment ?

François Feijoo : Nous avons ouvert en 2014 une école de la chaussure dans notre usine de Montjean-sur-Loire, pour réapprendre aux jeunes les métiers de la chaussure et ainsi pallier le manque de main-d'œuvre qualifiée. Nous y formons vingt demandeurs d'emploi par session, en partenariat avec Pôle emploi.

♦ L'histoire d'Eram, une entreprise bien dans ses pompes

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1927 : Albert-René Biotteau (ci-dessus) et son épouse Marie-Josèphe Guéry créent à Saint-Pierre-Montlimart (49) une fabrique de chaussures. Elle prend le nom d'Eram en 1932.

1942 : Eram ouvre son premier magasin à Levallois dans les Hauts-de-Seine.

1954 : Eram dépose un brevet pour injecter de la matière plastique directement dans la semelle. La production explose, Eram ouvre une dizaine d'usines.

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La marque Vylar, fabriquée grâce au procédé Plastiflor.

1969 : Premier vendeur de chaussures en France, Eram se déploie en franchises et exporte au Portugal et en Europe du Nord.

1979 : Le début de la saga publicitaire d'Eram avec des films signés Etienne Chatiliez et un slogan mythique : «Il faudrait être fou pour dépenser plus.»

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1991 : Première enseigne française de chaussures (500 magasins), Eram se diversifie dans le textile en lançant l'enseigne Gémo (acronyme des prénoms des dirigeants d'alors, GErard et SiMOne Biotteau).

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2004 : Le groupe Eram, via le groupe Vetura, reprend les magasins Tati, alors en cessation de paiement, puis l'enseigne Giga Store.

2009 : Devant la montée en puissance des sites internet (Zalando, Spartoo...), Eram crée son propre site marchand afin de relancer des ventes déclinantes.

2015 : Le groupe crée une formation afin de pérenniser le métier de la chaussure, sinistré en France, et lance de nouveaux services digitaux (click and collect, e-reservation...).

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Martin Soma

Photos : Eram