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6 clés pour comprendre comment vivent les ados sur les réseaux sociaux

A l'occasion de la sortie du livre de danah boyd « It's complicated » qui explore la vie des jeunes sur Internet, nous lui avons demandé des pistes pour comprendre leur comportement en ligne lors du festival South by Southwest.

Le Monde

Publié le 10 mars 2014 à 03h01, modifié le 09 octobre 2019 à 09h38

Temps de Lecture 7 min.

Après dix années de travail auprès de jeunes Américains, danah boyd, blogueuse sans majuscule, chercheuse chez Microsoft Research et professeure associée à l’université de New-York, publie un livre pour éclairer l’usage que les ados ont des réseaux sociaux.

It’s complicated : the social lives of networked teens veut expliquer aux parents ce que font concrètement leurs enfants sur Internet, s’attachant à démonter plusieurs fantasmes et à nuancer les risques les plus couramment évoqués par les parents (cyber-addiction, perte d’identité, disparition de leur vie privée, harcèlement, mauvaises rencontres…).

It’s complicated, du nom du statut Facebook, illustre toutes les facettes de cette vie en ligne qu’ont les adolescents aux yeux rivés sur leur smartphone. Nous avons rencontré danah boyd à Austin, au festival South by Southwest. Elle a donné plusieurs pistes pour comprendre comment les ados vivent sur les réseaux sociaux.

Les copains d’abord

Pour danah boyd, « les réseaux sociaux sont un endroit où les jeunes peuvent se rassembler avec leurs amis. Il faut prendre ça comme un espace public dans lequel ils traînent. »

Ces « rassemblements » sur Instagram, Snapchat, Twitter et consorts, sont la conséquence selon elle des restrictions imposées ailleurs. « Dans l'histoire des jeunes aux Etats-Unis, avant la généralisation des ordinateurs et d’Internet, il a progressivement été de plus en plus difficile de se déplacer et de voir ses amis. Écoles éloignées du centre-ville, restrictions sur l’argent de poche et les sorties aux centres commerciaux ont empêché les jeunes de se passer du temps ensemble. Dans beaucoup de famille, la peur de l’extérieur et le danger de l’inconnu a conduit à un cloisonnement plus important. »

« Et puis, la technologie est arrivée », se souvient danah boyd, qui s’appuie sur son expérience personnelle : « Dans les années 90, je me suis rendu compte que les ordinateurs n’étaient pas que des machines mais étaient en fait peuplés d’humains qui conversaient entre eux. Ca m’a paru tout de suite beaucoup plus intéressant. J’ai pu enfin avoir une vie sociale active, à travers des forums ou ce qu’on n’appelait pas encore des blogs, et faire des rencontres qui m’ont profondément marquée. »

Le phénomène se répète aujourd’hui sur les réseaux sociaux, avec une multitude d’outils et des milliers de services qui permettent aux adolescents d’avoir plusieurs niveaux de conversations « dans l’intimité de leur téléphone », la plupart du temps avec des cercles d’amis proches. « La plupart des jeunes n’aiment pas parler avec des inconnus, malgré toutes ces technologies incroyables qui permettent de communiquer avec le monde entier. Mais les jeunes Américains ne sortent pas de leurs frontières. Ils s’en tiennent à leur désir fondamental d’adolescent : voir leurs amis, parler avec eux de leur expérience et de ce qu’ils connaissent (comme la vie scolaire), et tout ça à l’abris des parents. »

Discuter avec les adolescents de leurs utilisations

Cette utilisation trouble parfois les parents. Dans la préface de son livre, danah boyd raconte comment un jeune, après lui avoir expliqué sa chaîne Youtube en détail, lui a demandé si elle pouvait aller l’expliquer à ses parents. « Ma mère pense que tout ce qui se passe en ligne est mauvais. Vous semblez comprendre que ce n’est pas le cas, et vous êtes une adulte. Est-ce que vous pouvez lui parler ? »

danah boyd se permet de donner quelques conseils aux parents intrigués ou décontenancés, justifiés par son long travail de recherche auprès des jeunes : « Faites tout ce que vous pouvez pour garder votre calme ! La tentation est de tout contrôler et d’imposer des restrictions très fortes sur les connexions des adolescents. En faisant ça, vous aurez démontré que vous avez un pouvoir, mais vous n’obtiendrez pas leur confiance. De même, espionner ses enfants en permanence n’est pas la bonne solution. Ca ne fera que créer des conflits et augmenter le stress des adolescents qui, de toute façon, trouveront des moyens de contourner cet espionnage avec des applications que vous ne connaissez pas. Il faut poser des questions, dialoguer ouvertement, plutôt que de présumer tout savoir. Il faut également créer autour d’eux un réseau d’adultes vers lesquels ils pourront se tourner en cas de problème : c’est l’une des principales missions d’un parent. »

La vie privée n’a pas disparu

« Les jeunes sont obsédés par leur vie privée. Ils veulent avoir le contrôle de leur vie sociale à tous les niveaux. Leur préoccupation majeure est de pouvoir se construire librement, sans avoir leurs parents sur le dos. Alors ils apprennent à maîtriser les paramètres de confidentialité des services qu’ils utilisent, même s’ils sont compliqués. Ou alors, ils les détournent en se créant des faux profils avec des pseudos. »

C’est la raison pour laquelle, selon danah boyd, les jeunes cherchent de nouveaux lieux de socialisation en ligne lorsque leurs parents deviennent leurs amis sur Facebook, ou les suivent sur Twitter. « Ce n’est pas cool quand la famille débarque là où on traîne avec ses amis. Alors on trouve un nouvel endroit. »

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Dernièrement, la très forte utilisation de Snapchat a répondu à ce besoin. Mais a aussi ajouté une dimension supplémentaire, celle de l’éphémère (Snapchat permet d’envoyer des photos qui ne s’affichent que quelques secondes sur l’écran avant de disparaître). Le succès de l’application montre, pour danah boyd, que les jeunes ont conscience des risques potentiels à poster de nombreuses photos ou vidéos d’eux sur les réseaux sociaux, qui pourront ressurgir des années plus tard. « Un monde où tout est permanent et stocké en ligne n’est pas confortable. Snapchat, ce n’est pas qu’une question d’intimité : pour les ados, c'est une manière de contrôler encore plus ce qu’ils envoient. Avec cette application, ils se concentrent sur le présent : leurs blagues et messages qu’ils s’envoient sont faites pour un instant T, pas pour l’avenir. Quand à l’envoi de photo dénudée, c’est minime. Et, ce sont souvent des adultes qui s’y sont fait prendre… »

Les ados sont à la recherche d’attention

Dans un moment de leur vie où la recherche d’identité et la construction de soi, les réseaux sociaux permettent aux adolescents d’obtenir quelque chose. « Les jeunes partagent des phrases et des images dans l’espoir d’avoir un retour. Les “J’aime”, les retweet, toutes les interactions générées par ce qu’ils postent en ligne sont perçues comme des marques d’attention qui leur font du bien. Et il ne faut pas donner plus d’importance à un “J’aime” qu’un hochement de tête dans une conversation. »

Cette recherche d’attention peut prendre l’aspect d’un nombre incalculable de “J’aime” ou d’une course à la célébrité. “Beaucoup de jeunes sont visibles, parfois très visibles en contrôlant des profils qui générent beaucoup de “J’aime” ou de “Retweet” parce qu’ils veulent, au départ, être reconnus de leurs amis. Le nombre de followers vient en complément des nouvelles Nike, et a remplacé le blouson de cuir.”

>> Lire : La mise en scène frénétique de soi des adolescents sur Twitter

Là encore, le récent succès de Snapchat s’appuie sur ce besoin d’obtenir de l’attention - et de s’assurer que l’interlocuteur est bien présent. « Pour regarder une image sur Snapchat, il faut faire une pause pendant une dizaine de secondes [l’application nécessite d’appuyer sur l’écran de son téléphone pour que la photo s’affiche]. Le récepteur doit prendre le temps de tout arrêter pour regarder ce message éphémère. Il y a des milliers de tweets, de photos sur Instagram, personne ne peut tout lire ou tout voir dans ces flux gigantesques de données. Snapchat modifie en cela notre comportement face à Internet : on est sûr que la personne qui reçoit notre image a focalisé son attention sur cette dernière. »

En se prenant en photo, les jeunes s’approprient le monde

Selon la chercheuse, les selfies (autoportraits) qui ont envahi les réseaux sociaux ces dernières années ne sont pas le reflet d’un nouveau narcissisme adolescent. D’ailleurs, le fait de se prendre en photo soi-même n’est pas nouveau. « Un selfie permet à celui qui se photographie de prendre possession d’un lieu, d’un moment et d’un contexte. Les gens cherchent simplement à célébrer l’instant en se prenant en photo. Mais c’est aussi une façon d’être présent et d’affirmer au monde qu’on est quelque part. Le but étant ensuite d’en discuter avec son entourage. »

Elle explique de la même manière le succès chez les jeunes des nombreuses applications dédiées à la retouche d’images (Instagram avec ses filtres, Vine avec son montage, Snapchat avec ses dessins, etc). « Plus besoin de Photoshop ! Avec des smartphones, qui combinent appareils photos et applications, on peut s’approprier la réalité et la partager au monde telle qu’on la voit ou avec le sens qu’on veut lui donner. Et cela permet d’éviter d’avoir à se définir avec du texte, dont tout le monde n’a pas la même maîtrise. »

Les adolescents sont des internautes comme les autres

Selon danah boyd, « les adolescents sont comme nous. Toutes les conclusions auxquelles je parviens après mes recherches peuvent s’appliquer à d’autres catégories sociales qui ont une vie active sur Internet. Ce qui est différent pour eux est qu’ils se construisent une identité, avec bien plus de contraintes, et qu’ils recherchent une liberté qu’ils doivent conquérir, à la différence des adultes qui l’ont déjà obtenue. »

 « Ils utilisent pour ça d’une manière formidable les outils numériques à leur disposition. Ils veulent donner du sens à leur vie, et s’appuyer sur leurs amis. Les réseaux sociaux leur servent à ça.  »

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